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À l’extrémité méridionale du lac, on voyait dans la forêt une ouverture d’une étendue considérable. Il ne restait de ce côté que peu ou point d’arbres. Nous en étions à quelques milles de distance, ce qui ne nous permettait point de distinguer parfaitement les objets, cependant nous ne pouvions méconnaître des ruines de fortifications assez considérables. Des milliers de taches blanches n’étaient autres que des tentes que nous ne tardâmes pas à distinguer. Les ruines étaient tout ce qui restait du fort William-Henri, et là était campée l’armée d’Abercrombie, la plus nombreuse qui se fût jamais rassemblée en Amérique sous l’étendard anglais. L’histoire nous a révélé depuis que cette armée ne contenait pas moins de seize mille hommes. Des centaines de barques et de grands bateaux, pouvant tenir de quarante à cinquante hommes, sillonnaient le lac, en face du camp ; et, malgré l’éloignement, il était facile de reconnaître que tout se préparait pour un mouvement prochain. Sous ce rapport, du moins, l’Indien ne nous avait pas trompés, et il n’avait pas apprécié avec moins de justesse les opérations qui se projetaient, qu’il n’avait montré de sagacité en nous guidant.

Nous devions passer la nuit sur la montagne. Nos couches ne furent pas des plus douces, et nos couvertures étaient légères ; cependant je ne me rappelle pas d’avoir dormi d’un plus profond sommeil. La fatigue d’une marche forcée fit pour nous ce que le plus fin duvet ne fait pas toujours pour le voluptueux. Je ne me réveillai pas de toute la nuit ; et je ne repris mes sens qu’en sentant un léger coup sur mon épaule. C’était Susquesus. Je me levai, et je vis l’Indien près de moi. Pour la première fois depuis que je le connaissais, je crus voir dans ses yeux une expression assez vive de plaisir. Il n’avait réveillé aucun de mes compagnons, et il me fit signe de le suivre. Je ne saurais dire ce qui m’avait valu cette distinction ; cependant je n’hésitai pas à quitter avec lui le campement grossier que nous avions établi pour la nuit.

Un magnifique spectacle m’attendait : le soleil venait de teindre les cimes des montagnes, tandis que le lac, les vallées, les flancs mêmes des collines et le monde entier en dessous, reposaient encore dans l’ombre. C’était comme le réveil des choses créées, qui commencent à secouer le sommeil de la nature. Pen-