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eût eu la possibilité de s’y maintenir. En un mot, les idées de convenance et de justice lui étaient à peu près étrangères ; et la vie n’était guère autre chose à ses yeux qu’une sorte de jeu des quatre-coins où chacun s’empressait de se glisser à la place que son voisin avait laissée vide par inadvertance, et s’y maintenait tant qu’il le pouvait. J’ai parlé avec quelque détail de ce faible de Jason, parce que si cette histoire est transmise, comme je l’espère et comme c’est mon intention, à mes descendants, ils pourront voir se réaliser la prédiction de leur aïeul : que cette disposition à regarder toute la famille humaine comme autant de locataires en commun du domaine laissé par Adam, doit amener infailliblement des résultats inouïs. Mais laissons le révérend M. Worden et M. Newcome voyager aux frais du gouvernement, et nous-mêmes ne restons pas en route.

Comme je viens de le dire, nous marchions tous à pied, l’exception des deux hommes qui conduisaient les chariots d’Herman Mordaunt. Chacun de nous portait, outre sa carabine et ses munitions, un havresac, et l’on conçoit que nos étapes n’étaient pas longues. Le premier jour, la halte se fit chez madame Schuyler, qui nous avait invités tous à dîner. Lord Howe se trouvait au nombre des convives, et il donna de grands éloges au courage que montraient Anneke et Mary Wallace en entreprenant un pareil voyage en un pareil moment.

— Au surplus, mesdames, vous n’avez rien à craindre, ajouta-t-il d’un ton plus sérieux, après quelques plaisanteries à ce sujet ; car nous aurons soin d’échelonner de forts détachements entre vous et les Français. Les événements de l’été dernier, la catastrophe du pauvre Munro si honteusement abandonnés son sort, nous font sentir toute l’importance de forcer l’ennemi à ne point s’avancer au delà de l’extrémité nord du lac George ; on n’a déjà livré que trop de combats de ce côté-ci du lac, pour l’honneur des armes britanniques. Nous nous portons garants de votre sûreté.

Anneke le remercia de cette assurance, et la conversation prit un autre cours. Un jeune homme, du nom de Schuyler, et parent de la maîtresse de la maison, était présent, et je fus frappé de son air et de ses manières. Sa tante l’appelait Philippe, et, comme