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est à se tourmenter par avance. Je n’ai pas besoin de courir après les ennuis ; c’est déjà bien assez de voir que Mary Wallace ne peut pas se décider à me dire un tout petit « oui ».

— Eh bien ! vous renoncez donc à y aller maintenant ?

— En aucune manière, Corny ; dût-elle m’apprendre des choses de nature à me faire couper la gorge, je ne reculerai pas ; il faut en finir ; mais il ne faut pas nous présenter comme nous sommes. Tout le monde se déguise, afin d’avoir occasion d’apprécier si elle est en veine ou non, par la manière dont elle parle en premier lieu de notre position dans le monde, ou de nos habitudes sociales. Si elle se trompe sons ce rapport, je n’attache plus la moindre importance à tout ce qu’elle pourra dire. Ainsi donc, à l’œuvre, Corny, changez vite d’habits ; empruntez quelques vêtements aux gens de l’hôtel, et venez me trouver, dès que vous voudrez. Je serai prêt ; car ce n’est pas la première fois que je prendrai un déguisement. Que de parties fines j’ai faites ainsi, où vous ne m’auriez pas reconnu, fou que j’étais, après comme avant !

Les choses se passèrent comme il le désirait. Grâce à un garçon d’hôtel, je fus bientôt équipé de pied en cap à ma grande satisfaction, si bien en effet, qu’en sortant de la maison, je passai devant Dirck, mon ami d’enfance, qui ne me reconnut pas. Guert eut le même bonheur ; car, lorsqu’il vint m’ouvrir, je lui demandai à lui-même si son maître était chez lui ; le rire qu’il ne put contenir, et sa mâle prestance, me mirent bientôt au fait, et nous partîmes gais et dispos, oubliant les inquiétudes que nous causait l’avenir, pour ne songer qu’au plaisir de passer dans la rue devant nos amis sans qu’ils nous reconnussent.

Guert avait mis beaucoup plus d’art et de science dans son déguisement que moi dans le mien. Nous étions mis comme de simples ouvriers. Guert portait une espèce de surtout grossier qu’il endossait l’été pour aller à la pêche ; mais moi j’avais laissé voir mon linge, et tous les accessoires de ma toilette de tous les jours. Mon ami, chemin faisant, me signala quelques-unes de ces imperfections, auxquelles je remédiai de mon mieux. Justement j’aperçus M. Worden, et je résolus de l’arrêter et de lui parler en déguisant ma voix, afin de juger si je pouvais le tromper.