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garçon solide, réfléchi ; c’est une de ces bonnes pâtes dont on ferait un évêque en Angleterre.

— Nous n’avons pas besoin d’évêques dans ma famille, major Evans, ni de si grands savants, voyez-vous. On ne nous a jamais rien appris, à nous autres, et nous n’en avons pas moins fait notre chemin. Je suis colonel ; mon père l’était de même, mon grand-père également ; et Dirck peut le devenir, sans avoir besoin de passer ce terrible gué qui effraie si fort madame Littlepage.

Le colonel aimait assez à plaisanter ; mais c’étaient des plaisanteries assaisonnées, suivant l’expression de M. Worden, de bon gros sel hollandais. Tant que je fus à Newark, après même que j’en fus sorti, ma mère eut à essuyer une bordée continuelle de sarcasmes sur ce terrible gué, que le colonel trouvait moyen de ramener à chaque phrase.

— Vous vous êtes très-bien tiré d’affaires, colonel, nous en convenons tous, sans avoir été mis au collège ; mais qui sait si vous ne seriez pas parvenu plus haut encore, dans le cas où vous auriez pris vos degrés ? peut-être le colonel serait-il aujourd’hui général.

— Il n’y a point de général dans la colonie, le commandant en chef excepté, riposta le colonel. Nous ne sommes pas des Yankees pour faire des généraux de nos laboureurs.

— Parbleu, vous avez raison, Follock, s’écria mon père ; des colonels sont assez bons pour nous ; mais nous tenons encore à ce que même un colonel soit un homme respectable et digne de l’emploi qui lui est confié. Quoi qu’il en soit, un peu d’instruction ne fera pas mal à Corny ; faites de Dirck ce que vous voudrez, Corny n’en ira pas moins au collège. Ainsi donc, c’est un point réglé ; n’en parlons plus.

Effectivement, je partis pour le collège, et, qui plus est, par le terrible gué. Si près que nous fussions de la ville, ce fut le jour où je partis avec mon père pour Newark que je rendis ma première visite à l’île de Manhattan. J’avais une tante qui demeurait dans Queen-Street, et qui nous avait invités à nous arrêter chez elle en passant. À cette époque, on n’était pas toujours, comme aujourd’hui, par voies et par chemins. Il était rare que mon père