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La chère enfant le comprit, et son noble caractère ne se démentit pas. Elle prit ma main, la serra vivement, et me dit d’un ton doucement résigné :

— Vous le voyez, Corny ; je n’ai aucun moyen d’éviter mon sort ; mais vous pouvez, vous, atteindre le rivage. Allez, et laissez-moi entre les mains de la Providence. Je n’oublierai jamais ce que vous avez fait pour moi ; mais il est inutile que nous périssions ensemble.

Je n’ai jamais douté qu’Anneke ne fût sincère, et que ce n’eût été une consolation pour elle de me voir essayer au moins de sauver mes jours. L’accent pénétré avec lequel elle parlait ; le peu d’espoir qu’elle conservait pour elle-même ; le mouvement de notre île qui, dans ce moment même, semblait s’éloigner du rivage ; tout cela me mit tellement hors de moi que j’en conçus un projet aussi hardi que désespéré. Je tremble, même aujourd’hui après un si grand laps de temps, rien qu’en y pensant. Un petit glaçon flottait entre nous et la masse compacte qui tenait à la terre ; il avait pu se glisser dans l’intervalle, grâce à sa petitesse, et il touchait, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Je rassemblai toute mon énergie ; et soulevant Anneke dans mes bras, j’épiai un moment favorable, et je m’élançai. J’avais un saut à faire, avec mon précieux fardeau, pour gagner ce pont flottant. D’un bond, je m’y trouvai transporté. Touchant à peine du pied ce fragile support qui fléchissait déjà sous notre double poids, je le traversai en deux ou trois enjambées, et je réunis toutes mes forces dans un dernier et violent effort. Je réussis, et je retombai sur le glaçon compacte, le cœur rempli de gratitude envers Dieu. La résistance que mes pieds éprouvèrent me convainquit que je touchais une surface solide, et l’instant d’après nous étions à terre. En pareil cas, le premier mouvement est de regarder derrière soi pour examiner le danger auquel on vient d’échapper miraculeusement ; c’est ce que je fis, et je vis que notre pont fragile avait déjà été entraîné par le courant, et que la montagne de glace qui avait été notre premier moyen de salut, suivait lentement, par suite de quelque nouvelle impulsion qu’elle venait sans doute de recevoir. Mais enfin nous étions sauvés, et je remerciai Dieu avec ferveur de nous avoir tirés d’un si grand péril.