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tretenir par l’exercice la circulation du sang. Enfin nous nous trouvions ainsi dans la meilleure situation pour profiter du moment favorable, si notre île mouvante se rapprochait du bord.

Il n’y avait plus de doute possible sur l’état de la rivière. La débâcle était générale. Le printemps en une seule nuit avait établi son empire ; l’immense croûte de glace s’était amollie partout, et la masse compacte qui s’était détachée de la partie supérieure de la rivière avait acquis une force irrésistible qui s’accroissait encore par les obstacles. Elle avait pris enfin tout son élan, et les eaux se précipitaient au centre de la rivière avec une impétuosité qui entraînait comme des roseaux toutes les barrières amoncelées qu’on eût dit infranchissables.

Heureusement notre montagne de glace se trouvait un peu sur le côté, en dehors de cette course effrénée des eaux. J’ai pensé depuis qu’elle touchait le fond, ce qui lui imprimait un mouvement de rotation, en même temps que sa marche s’en trouvait retardée. Quoi qu’il en soit, nous étions toujours dans une espèce de baie, et j’eus la satisfaction de remarquer que notre petit glaçon tournait du côté de la rive occidentale. C’était le moment d’agir avec décision, et je dis à Anneke de se tenir prête. Une masse de glace, plus compacte que celle qui nous portait, mais aussi unie, avait été poussée vers le bord, et il y avait tout espoir que notre glaçon, en continuant à tourner sur lui-même, finirait par le toucher. Je savais que si la glace s’était brisée, ce n’était pas faute de solidité, mais par suite de la pression énorme exercée par la masse qui s’était détachée de la partie supérieure, et à cause aussi de la force du courant ; nous ne courions donc pas grand risque à nous aventurer sur la limite extrême d’un glaçon quelconque. Placés à l’extrémité du fragment qui nous portait, nous attendîmes avec une vive anxiété le moment où les deux glaçons se trouveraient en contact l’un avec l’autre.

Dans de pareils moments, le plus léger désappointement équivaut à la ruine totale de nos espérances. Plusieurs fois il nous sembla que notre île allait toucher le glaçon qui tenait au rivage, et chaque fois elle inclinait de côté, laissant un espace intermédiaire de six à huit pieds. Cet espace, seul j’aurais pu le franchir aisément ; mais pour Anneke c’était une barrière insurmontable.