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— Non, non ! s’écria la chère enfant d’une voix entrecoupée ; aidez-moi à descendre, Corny, vite, bien vite ; je vous accompagne partout où vous voudrez, fût-ce au bout du monde, pour épargner à mon père une pareille angoisse !

À partir de ce moment, toute trace de faiblesse ou d’hésitation disparut, et Anneke se montra prête à seconder tous mes efforts. C’était cette soumission passive à un sort qui semblait inévitable, d’un côté, et de l’autre, un mouvement de frayeur involontaire, qui avaient amené la séparation des deux amies.

Je ne sais comment décrire la scène qui suivit. Je ne pensais pas à moi, toutes mes craintes s’étaient concentrées sur Anneke. Je ne l’aurais pas aimée de toutes les puissances de mon âme, comme je le faisais, que le danger où se trouvait cette chère enfant, la confiance avec laquelle elle s’abandonnait à ma conduite, auraient suffi pour bannir de mon esprit toute idée d’égoïsme ou d’intérêt personnel. Dans des moments pareils, les affections se montrent à découvert, et tous les faux semblants dont les convenances les enveloppent disparaissent. J’agissais, je parlais avec Anneke comme avec la personne qui m’était la plus chère au monde ; mais je suppose que le lecteur aimera mieux apprendre ce que nous fîmes, dans des circonstances semblables, que ce que nous pouvions dire ou éprouver.

Je le répète : il ne m’est point facile d’observer ici quelque suite dans mon récit. Tout ce que je sais, c’est qu’en courant plutôt qu’en marchant, nous traversâmes le canal sur lequel j’avais entrevu les formes indistinctes de Guert et de Mary, et nous réussîmes même à atteindre la rive orientale de la seconde île, dans l’espoir de pouvoir gagner la terre de ce côté. Mais cet espoir fut cruellement déçu ; l’eau coulait à grands flots sur la glace ; je ne pus découvrir aucune trace de nos compagnons, et nos appels répétés restèrent sans réponse.

— Notre position est désespérée, Cornelius, dit Anneke avec un calme forcé, dès qu’elle vit que la retraite était impossible. Retournons au sleigh, et soumettons-nous à la volonté de Dieu.

— Chère Anneke, songez à votre père, et rassemblez tout votre courage. Le lit de la rivière est encore solide ; il faut le traverser, et voir si nous serons plus heureux de l’autre côté.