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Quelques minutes suffirent pour nous conduire aux limites de notre étroit domaine, et Guert me fit remarquer les masses énormes de glace qui s’accumulaient à l’extrémité.

— C’est là qu’est notre danger, dit-il avec force, et ces arbres ne nous sauveraient pas. Je suis accoutumé à ce genre d’inondation ; il n’y a point de printemps où il n’y en ait quelqu’une, et cependant je n’en ai jamais vu d’aussi terrible. Ne voyez-vous pas, Corny, ce qui fait notre salut en ce moment ?

— Nous sommes dans une île ; tant que nous y resterons, nous ne pouvons courir de grands dangers du côté de la rivière.

— Vous vous trompez, mon pauvre ami, vous vous trompez complètement. Venez avec moi et voyez vous-même.

Je suivis Guert. Il me fit franchir les glaçons qui étaient entassés jusqu’à trente pieds de hauteur en tête de l’île, et qui s’étendaient à droites et à gauche, aussi loin que nous pouvions voir à la faveur de quelques pâles rayons de la lune enveloppé de brouillards. On pouvait, avec quelques précautions, passer sur ces montagnes mobiles, dont le mouvement était assez lent pour ne pas être un obstacle insurmontable, d’autant plus que souvent il s’arrêtait ; mais il n’était plus possible de se dissimuler le véritable caractère du danger. Sans l’obstacle présenté par les îles, toute cette masse flottante aurait continué à descendre hardiment la rivière, jusqu’à ce que l’espace s’élargissant de plus en plus, elle eût fini par se précipiter dans l’océan ; mais arrêtée non-seulement par notre île, mais par toutes celles dont cette partie de l’Hudson était semée, elle se cabrait, se brisait en énormes blocs, et formait ainsi devant chaque île une sorte de digue qui faisait toute notre sûreté. Si cette digue venait à se rompre près de nous, nous ne pouvions manquer d’être balayés par le torrent. L’espoir de Guert, c’était que les eaux avaient trouvé quelques issues étroites des deux côtés le long du bord. S’il se réalisait, alors la grande catastrophe pouvait être évitée ; autrement nous étions perdus.

— Je ne me pardonnerais pas de rester ici, sans chercher à reconnaître quel est l’état des choses plus près du rivage, dit Guert après que nous eûmes examiné, autant que la clarté douteuse de la nuit le permettait, les monceaux de glace qui s’accu-