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ôtant sa pipe de sa bouche pour faire une question de cette importance.

— C’est un collège de la Nouvelle-Angleterre, près de Boston, tout au plus à une demi-journée de distance.

— Gardez-vous d’y envoyer Cornelius ! s’écria le colonel, en lâchant ces paroles en même temps qu’une bouffée de fumée.

— Et pourquoi donc ? demanda ma mère inquiète.

— Il y a trop de dimanches par là, madame Littlepage. L’enfant sera gâté par un tas de ministres. Il partira honnête garçon et reviendra mauvais garnement.

— Comment donc, mon cher colonel, s’écria le révérend M. Worden avec une chaleur tant soit peu affectée, est-ce à dire que le clergé et les dimanches ne soient propres qu’à faire des scélérats ?

Le colonel ne répondit rien. Il continua à fumer sa pipe très-philosophiquement ; mais il fit un geste des plus significatifs avec sa pipe du côté du levant, en l’honneur des colonies de la Nouvelle-Angleterre. Le révérend ne fit pas mine de s’en apercevoir, et continua à verser d’un vase dans un autre le cordial qu’il préparait.

— Que pensez-vous d’Yale, colonel ? demanda mon père, qui avait compris à merveille cette pantomime.

— Je n’en retournerais pas la main, Evans. Encore des braillards qui prient toute la journée. Est-ce que de braves gens ont besoin de tant de religion ? Quand un homme est vraiment bon, la religion ne peut que lui être nuisible. — J’entends la religion des Yankees.

— J’ai encore une objection contre Yale, s’écria le capitaine Hugh Roger, c’est leur anglais.

— Ne m’en parlez pas, s’écria le colonel, qui ne pouvait pas dire deux mots d’anglais sans les écorcher ; leur anglais est atroce.

— Voyez pourtant ! dit mon père ; je n’en avais pas le moindre soupçon. Alors il faudra envoyer notre garçon à Newark, dans le New-Jersey.

— J’y pourrais consentir, ajouta ma mère, s’il ne fallait point passer l’eau.