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dions toujours, annonçaient qu’il nous suivait de près, tandis que nous étions lancés en avant à raison d’au moins vingt milles par heure. Plus nous avancions vers le nord, plus le bruit causé par les craquements de la glace devenait fréquent et augmentait d’intensité ; bientôt il fut vraiment effrayant ! Pourtant nos deux compagnes continuaient à garder le silence, conservant leur sang-froid d’une manière admirable, bien qu’il fût impossible qu’elles ne comprissent pas tout ce que notre position avait de critique. Tel était l’état des choses lorsque les chevaux de Guert, hors d’haleine, ralentirent sensiblement le pas, et leur maître sentit qu’il y aurait folie à espérer d’arriver à la ville avant que la catastrophe fût arrivée ; il se résigna donc, et il retenait lui-même la bride, lorsque tout à coup une violente détonation se fit entendre immédiatement devant nous. L’instant d’après, la glace se souleva littéralement sous les pieds de nos chevaux, à une hauteur de plusieurs pieds, en prenant la forme du toit d’une maison ; il était trop tard pour se retirer, et Guert, criant de toutes ses forces : Allons, Jack ! allons Moïse ! allongea le fouet, et les animaux généreux, retrouvant pour un moment toute leur ardeur, s’élancèrent sur le monticule improvisé, en franchissant une crevasse de trois pieds de large, et retombèrent de l’autre côté sur la glace unie. Tout cela fut fait en un clin d’œil. Pendant que le sleigh s’élançait sur cette côte ardue, les deux amies eurent beaucoup de peine à rester assises ; pour Guert, il se tint fièrement debout, comme le pin qui tient au sol par de trop fortes racines pour céder à la tempête ; mais dès que le danger fut passé, il tira la bride à lui, et s’arrêta tout court.

Nous entendions toujours les clochettes de l’autre sleigh de l’autre côté de la barrière, mais nous ne pouvions rien voir. Les glaçons brisés, poussés par une force irrésistible, s’élançaient les uns sur les autres, et formaient un mur perpendiculaire de plus de dix pieds de hauteur, qu’il n’eût plus été possible de franchir même à pied. Alors retentit la voix d’Herman Mordaunt dans toute sa détresse, pour augmenter l’horreur de cet affreux moment.

— Gagnez le bord ! criait le père désolé ; au nom du ciel, le bord, Guert, le bord !