Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lorsque le son de clochettes se fit entendre tout contre moi. Je tournai la tête et je vis les chevaux bais d’Herman Mordaunt lancés au galop, comme si leur maître voulait mettre son sleigh sur la même ligne que le nôtre. Il y réussit en effet, et Guert s’arrêta aussitôt.

— Avez-vous entendu ce qu’on nous a crié, Guert ? demanda Herman dès que tout bruit eut cessé. Cet homme nous appelait de toute la force de ses poumons, et il n’a pas dû le faire sans motif.

— Ce sont des gens qui ne reviennent jamais d’Albany le gosier sec, répondit Guert ; et quand ils sont en goguettes, ils souhaitent le bonsoir à tous ceux qu’ils rencontrent.

— Je ne sais, mais mistress Bogart a cru comprendre qu’ils parlaient d’Albany et de la rivière.

— Les dames sont toujours portées à croire qu’Albany va s’enfoncer dans la rivière après un grand dégel, reprit Guert en riant ; mais je puis leur montrer qu’ici même, où nous sommes, la glace a seize pouces d’épaisseur.

Guert me donna les guides, s’élança hors du sleigh, courut au bord d’une large crevasse qu’il avait remarquée à quelque distance, et revint, le pouce posé sur le manche de son fouet, de manière à indiquer l’épaisseur actuelle de la glace. Elle était à cet endroit plutôt de dix-huit pouces que de seize. Herman Mordaunt montra la mesure à mistress Bogart qu’une preuve aussi positive rassura complètement. Anneke ni Mary ne manifestèrent la moindre crainte : au contraire, dès que nous fûmes repartis, elles s’amusèrent un peu aux dépens des terreurs imaginaires de la pauvre mistress Bogart.

J’étais peut-être le seul de notre sleigh qui éprouvât encore quelques alarmes après ce petit incident. Je ne saurais dire pourquoi. Sans doute c’était le danger que pouvait courir Anneke qui me préoccupait si vivement. Il n’y avait point d’hiver où la glace ne se rompît, sous quelque traîneau, sur nos lacs et nos rivières de New-York ; souvent les chevaux se noyaient ; quoiqu’il fût rare qu’il arrivât d’accident plus sérieux. Je me disais combien la glace est fragile de sa nature ; qu’un dégel si prononcé, des pluies si continuelles, avaient dû l’amollir considérablement, et que tout