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mais ; mais le côté plaisant de l’histoire, c’est que la partie volée, toujours au dire d’Harris, s’est indemnisée en faisant invasion dans la cuisine de M. le maire, et a si bien vidé toutes les marmites, qu’il n’est pas resté même une pomme de terre !

Je sentis que le feu me montait au visage ; il me semblait que tous les yeux étaient fixés sur moi. Heureusement, Herman Mordaunt se chargea de répondre.

— L’histoire, suivant l’usage, n’a pas perdu à voyager, dit-il, quoique le fond en soit vrai. Nous soupions tous hier soir chez M. Cuyler et nous savons parfaitement qu’il y avait tout autre chose qu’une pomme de terre sur la table.

— Comment ! ces dames étaient aussi de la partie ?

— Oui, ces dames, et même M. Littlepage par dessus le marché, reprit Herman Mordaunt en me jetant un regard d’intelligence. Nous sommes tous là pour attester qu’on nous servit un souper non-seulement copieux, mais succulent.

— Je remarque un sourire général qui m’annonce qu’on me cache quelque chose, s’écria Bulstrode, et je demande à être mis dans le secret.

Herman Mordaunt se mit alors à raconter toute l’histoire, sans en cacher la partie burlesque. Il s’étendit même avec une certaine complaisance sur le sermon prêché par M. Worden à Dorothée, et il me prit à témoin que ce sermon était excellent. Bulstrode rit beaucoup ; mais je crus remarquer que les deux jeunes amies auraient préféré qu’on ne parlât point de tout cela. Anneke essaya même une ou deux fois de détourner la conversation, lorsque son père faisait certains commentaires, d’un ton assez léger, sur ces sortes d’amusements en général.

— Ce Guert Ten Eyck n’a point son pareil, s’écria Bulstrode, et c’est vraiment parfois un être indéchiffrable. Je ne connais pas de jeune homme plus brave, plus prévenant, et en même temps plus entier dans ses opinions ; et dans d’autres moments c’est un enfant pour les goûts et pour les inclinations. Pourriez-vous m’expliquer cette contradiction, miss Anneke ?

— C’est simplement que l’éducation n’a pas développé les heureux germes que la nature avait mis en lui. Si Guert Ten Eyck avait été élevé à Oxford, il serait tout autre, mais il n’a reçu que