Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’idée était bonne et j’en profitai. Le fournisseur se montra en effet d’excellente composition. Un messager fut envoyé à l’écurie, et les chevaux comparurent en personne. Ils étaient un peu poussifs ; mais Guert montra un talent merveilleux pour les faire valoir ; et le marché fut bientôt conclu. On nous paya comptant en bonnes pièces d’or espagnoles. Les peaux même furent vendues avec le reste, et Guert, pour établir une concurrence qui tournât à mon profit, se montra amateur de la peau d’ours, qui lui avait donné dans l’œil, et qu’il voulut absolument me payer une guinée. Je fis mes efforts pour la lui faire accepter, en souvenir de notre heureuse rencontre ; mais il n’y voulut jamais consentir. Guert, dans toutes les affaires d’argent, montrait la délicatesse la plus sévère. Je n’irai pas jusqu’à dire que j’aurais acheté un cheval sur sa recommandation, surtout si le cheval lui eût appartenu, les maquignons ont leurs faiblesses ; mais, au demeurant, Guert était un des plus honnêtes garçons qu’on pût voir.

Le fournisseur craignait tant de se voir souffler son marché, qu’il m’acheta de confiance les sleighs, les traîneaux, les attelages et les provisions, qui n’étaient même pas encore arrivés. Il est vrai qu’il connaissait mon père de réputation, et que son nom lui parut une garantie suffisante. Pour donner une idée du mouvement qui régnait alors, car en vingt-quatre heures les routes pouvaient devenir impraticables, j’ajouterai que le sleigh qui venait d’être acheté fut chargé à l’instant même et dirigé sur le nord, avec ordre à ceux qui le conduisaient de s’avancer le plus près possible du lac George. De là le convoi pouvait facilement rejoindre l’armée, par le moyen des deux lacs.

— Eh bien ! Littlepage, s’écria Guert avec enjouement, voilà une affaire terminée. Vous avez obtenu de bons prix, et le roi, je l’espère, a de bons chevaux. Peut-être sont-ils un peu vénérables ; mais qu’importe ? l’armée tuerait le coursier le meilleur de la colonie en moins d’une campagne dans les bois ; autant vaut lui en donner de vieux et d’invalides. Mais voyons ; si nous allions faire un tour dans la grande rue ; le cœur vous en dit-il ? c’est l’heure où les jeunes dames sortent ordinairement en sleigh pour faire leur promenade du soir.