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Un jour ou deux après cette conversation, notre petite troupe quitta Satanstoé avec un certain éclat. Deux chevaux, appartenant par moitié aux deux familles, étaient attelés à un sleigh[1] qui avait été remis à neuf pour le voyage, et qui était la propriété exclusive du colonel Follock. Dirck avait ordre de le vendre aussitôt notre arrivée ; l’extérieur était bleu de ciel, l’intérieur, rouge-ardent, couleur fort en vogue pour ce genre de voitures, parce qu’elle emporte une idée de chaleur ; c’est du moins ce que disent les vieilles gens, quoique j’avoue que, dans la pratique, j’aie toujours trouvé que ce n’était pas autre chose qu’une idée.

Nous avions deux peaux de bison et une peau d’ours ; la peau d’ours, recouverte d’un drap écarlate, avait tout à fait bonne façon. Des deux peaux de bison, l’une, la plus grande, était placée sur le siège de derrière et retombait sur le dos du traîneau, qui était assez élevé pour nous préserver du vent ; l’autre était étendue au fond de la voiture en guise de tapis, et recouvrait en même temps mes genoux et ceux de Dirck en formant une sorte de tablier, qui nous préservait du froid de ce côté. La peau d’ours formait coussin pour nous sur le siège de devant, et tablier pour Jason et pour M. Worden, qui étaient assis par derrière.

Ce fut le 1er mars 1758 que nous partîmes pour cette mémorable expédition ; l’hiver avait jeté ce qu’il est habituellement dans nos latitudes, quoiqu’il fût tombé plus de neige qu’à l’ordinaire le long de la côte. L’air de la mer et la neige ne vont guère bien ensemble ; cependant j’avais été en traîneau autour de la ferme pendant la plus grande partie du mois de février. Il y avait bien alors des apparences de dégel, et le vent tournait au sud ; aussi mon père nous conseilla-t-il de prendre la route qui traversait le comté par le milieu, et de gagner les hauteurs le plus tôt possible. Non-seulement il y avait toujours plus de neige dans

  1. Sleigh est un mot purement américain qui vient du hollandais. Quelques personnes prétendent que les Américains ne doivent se servir que des mots anglais sled ou sledge, traîneau ; mais pourquoi se servir du même mot pour exprimer deux choses qui ne sont pas identiques ? Le sleigh est le traîneau fashionable. N’avons-nous pas maintenant le mot wagon en même temps que celui de coach ou voiture ? Avant peu, le mot sleigh sera anglais, comme il est aujourd’hui américain. Une nation qui compte vingt millions d’habitants non-seulement peut faire un mot, mais elle pourrait faire une langue au besoin.