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faire ; il y a longtemps que je ne me suis sentie aussi heureuse que dans ce moment ; cependant ma faiblesse croissante m’avertit que mon heure approche. Mon ami, vous n’avez qu’à vous rappeler tout ce que notre sainte mère vous a appris dans l’enfance, et vous ne me pleurerez point. Si je pouvais vous voir uni à une personne qui vous comprît et qui appréciât votre mérite, je mourrais contente, mais vous resterez seul, pauvre frère ; et, pendant quelque temps du moins, vous me regretterez.

— Toujours, Grace, tant que je vivrai ! murmurai-je presque à son oreille.

Ma sœur était si épuisée qu’elle resta immobile pendant un quart d’heure ; seulement elle me serrait la main de temps en temps ; et, dans ses ardentes prières au ciel, je distinguais quelques paroles où mon nom était mêlé. Ce peu de repos lui ayant fait du bien, ma sœur voulut reprendre la conversation ; je l’engageai à ne pas se fatiguer davantage, mais elle répondit en me jetant un ineffable sourire :

— Miles, vos pensées se reportent-elles quelquefois à ces images de l’avenir, si douces pour l’âme fidèle, où nous voyons que nous nous retrouverons un jour, dans un état de félicité plus complète que toutes celles que nous pouvons goûter ici-bas ?

— Nous autres marins, nous nous livrons peu à ces sortes de pensées ; mais je sens tout ce qu’elles renferment de consolant.

— Souvenez-vous, mon cher frère, que les bienheureux seuls jouiront de cette réunion si précieuse ; tandis que pour les maudits ce sera un poids de plus ajouté au fardeau de leurs misères.

Il est des moments sacrés où les idées religieuses se saisissent de notre âme avec une puissance toute particulière, et j’en éprouvais en ce moment l’influence. Il était si doux de penser que je reverrais ma sœur sous la forme où je l’avais vue et aimée si longtemps ! Mais Grace s’animait encore ; je craignis pour elle une nouvelle fatigue, et je lui proposai d’appeler Lucie, afin qu’on pût la transporter dans sa chambre ; car j’avais découvert par un mot échappé à Chloé qu’il avait fallu la porter pour qu’elle pût venir à la salle de famille. Grace me le permit ; mais en attendant que Chloé répondît à l’appel de la sonnette, elle continua à me parler.

— Je ne vous ai pas demandé, Miles, de cacher au monde mes dernières dispositions ; vous avez trop de délicatesse pour que cette