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comme une abeille : il se montrait tantôt sur une vergue, tantôt sur l’autre, selon les besoins du service ; et on pouvait juger, à la largeur de la grimace qui dilatait sa figure, de l’importance de la besogne à laquelle il se livrait. Il est possible que le Breton ait eu ce jour-là dans ses agrès des matelots plus âgés ou ayant plus d’expérience, mais aucun ne se montra plus alerte, plus résolu, plus infatigable. La gaieté de cœur avec laquelle ce nègre semblait se multiplier au milieu de cette scène de carnage, s’est toujours présentée à mon esprit comme essentiellement caractéristique.

Le capitaine ne changea rien à sa route, et ne tira pas un coup de canon en réponse au salut qu’il avait reçu, quoique les deux bâtiments fussent à peine à une encâblure l’un de l’autre quand les Français avaient commencé. Le Breton s’avança hardiment, et deux minutes plus tard, quand il n’était qu’à une portée de pistolet, il lâcha toute sa bordée de tribord ; ce fut vraiment le commencement de l’affaire, et elle fut chaude pendant une demi-heure. Le Breton vira aussitôt après avoir tiré, et les deux frégates furent bientôt bord à bord, en courant presque vent arrière. Je ne sais comment cela se fit, mais quand il faillit changer les vergues de l’avant, il se trouva que je halais sur les bras de toutes mes forces. L’aide-master qui dirigeait cette manœuvre me remercia, en me disant d’une voix enjouée : « Dans une heure nous les aurons brossés d’importance, capitaine Wallingford ! » Ce fut le premier moment où je m’aperçus que mes mains n’étaient pas restées inactives.

J’eus alors occasion de reconnaître combien il est différent d’être spectateur ou acteur dans une scène semblable ; honteux du moment d’oubli auquel je m’étais laissé aller, je me dirigeai vers le gaillard d’arrière où le sang coulait déjà abondamment. Tout le monde, excepté moi, était à l’œuvre. En 1803, la caronade, ou canon bâtard, était devenue d’un usage général, et celles qui étaient sur le gaillard d’arrière du Breton venaient d’être tournées, et regardaient leurs maîtres en face après avoir vomi leur charge. Le capitaine, le master et le premier lieutenant étaient tous là, les deux premiers s’occupant de la voilure, et le lieutenant, un peu de la batterie et un peu de tout le reste. Il se passait à peine une minute sans qu’un boulet frappât quelque part, quoique ce fût principalement dans les agrès ; et les gémissements des blessés, cette partie déplorable de tout combat sérieux, commencèrent à se mêler au fracas du canon.