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pour éviter d’être submergés. Cette pénible anxiété durait depuis une demi-heure, le canot semblant parfois près de s’élancer hors de l’eau en fuyant devant la rafale, quand, au moment où nous nous y attendions le moins, Rupert s’écria qu’il voyait le Tigris !

C’était bien lui, en effet, le cap tourné vers le nord-est, luttant contre la mer furieuse, sous ses huniers avec tous les ris pris, et se cramponnant à la terre tant qu’il le pouvait. À peine faisait-il assez de jour pour distinguer ces circonstances, quoiqu’il ne fût qu’à une encâblure de nous quand il fut aperçu pour la première fois. Malheureusement il nous restait sous le vent, et il courait de l’avant avec tant de vitesse, qu’il était probable qu’il nous dépasserait, à moins que nous ne fissions tous force de rames. Nous saisîmes aussitôt les avirons, cherchant à nous porter droit sous le vent du Tigris, et à nous ranger sous sa hanche pour y recevoir une corde.

Nous nagions avec fureur. Trois fois la lame nous avait couverts, rendant l’embarcation de plus en plus pesante ; mais le capitaine nous dit de ne pas nous en inquiéter, et de nager toujours, chaque minute étant précieuse. Comme je ne me retournai point, — et je ne le pouvais guère, — je ne vis plus le navire qu’au moment où, à cent verges de nous, sa sombre carène se montra tout à coup, s’élevant en l’air par un de ces élans soudains qui semblent lui imprimer une double vitesse. Le capitaine Robbins s’était mis à héler dès qu’il s’était cru assez près pour être entendu ; mais que pouvait la voix humaine, au milieu de ce concert affreux des vents sifflant à travers les cordages, pendant que les mugissements de l’Océan y faisaient un accompagnement terrible ! Grand Dieu ! quel désespoir s’empara de nous, à cette nouvelle idée qui se présenta presque simultanément à nos esprits, que nous ne parviendrions pas à nous faire entendre ! Tous les cinq, sans nous être concertés, nous nous mîmes à pousser à la fois un cri prolongé pour tirer de leur stupeur ceux qui étaient près de nous, et à qui il était si facile de nous préserver de la plus horrible de toutes les morts, — la faim ! — Nous étions déjà sous le vent du navire, quoique presque dans son sillage, et notre unique chance était de le rejoindre. Le capitaine nous cria de faire un dernier effort, et, courbés sur nos avirons, nous semblions dévorer l’espace. Une sorte de frénésie doublait nos forces, et sans doute nous aurions réussi, si une nouvelle lame n’était venue nous couvrir et remplir le canot jusqu’aux bancs. Il ne restait d’autre alternative que de céder et de vider l’eau.

J’avoue que je sentis des larmes couler le long de mes joues à la vue du bâtiment qui allait s’enfoncer dans les ténèbres. Ce fut ce qui