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L’air à la fois bienveillant et ferme du capitaine Dale me plut extrêmement, et j’avais un demi-désir de demander sur-le-champ à servir son bord. Si j’avais suivi cette impulsion, il est probable que mon avenir aurait été tout autre. Je serais entré en qualité de midshipman ; et, commençant si jeune, quoique déjà avec une assez bonne dose d’expérience, j’aurais été nommé lieutenant au bout d’un an ou deux, et si j’avais survécu à la rafle de 1801, je serais aujourd’hui l’un des plus anciens officiers de la marine. La Providence en ordonna autrement, et le lecteur jugera par la suite de cette histoire, si j’ai lieu de le regretter ou de m’en applaudir.

Dès que le capitaine Digges eut pris un verre ou deux de vin avec son ancienne connaissance, nous retournâmes à bord, et les deux bâtiments appareillèrent ; le Gange portant vers le nord est et nous vers le cap Delaware. Nous arrivâmes sous le cap May le soir même, à une distance de cinq milles. Un pilote vint du cap dans un canot, et il nous atteignit quand il faisait nuit. Le capitaine Robbins brûlait de débarquer, car il était important pour lui d’annoncer lui-même la triste nouvelle de son naufrage. Par suite d’un arrangement fait avec les deux hommes qui montaient le canot, notre ancien commandant, Rupert et moi, nous nous préparâmes à quitter le bâtiment, quelque tard qu’il fût. Nous avions été pris pour augmenter le nombre des rameurs, mais nous devions rejoindre le navire dans la baie, s’il était possible, sinon, à la ville. Un des motifs du capitaine Robbins pour partir, c’est que le vent semblait passer au nord ; il y avait eu déjà des rafales du nord-ouest, et tout le monde savait que si le vent venait à souffler sérieusement de ce côté, le bâtiment pouvait être une semaine à remonter la rivière ; alors les nouvelles dont il était porteur n’auraient pu manquer de le précéder. Nous partîmes donc précipitamment, n’emportant avec nous que de quoi changer de linge, et quelques papiers nécessaires.

Le premier coup de vent véritablement nord-ouest nous atteignit cinq minutes après que nous avions quitté le Tigris, et lorsque ce bâtiment était encore visible, ou plutôt que nous pouvions voir les lumières dans les fenêtres des chambres, pendant qu’il faisait vent arrière. Bientôt les lumières disparurent, sans doute parce qu’il loffait de nouveau. Les symptômes devenaient si menaçants que les matelots du pilote proposèrent de faire un effort pour rejoindre le navire ; mais c’était aisé à dire ; le bâtiment pouvait filer vers le cap Henlopen, à raison de six à sept nœuds ; et comment arriver jusqu’à lui, sans avoir aucun moyen de faire des signaux ? Je crois que le capitaine Robbins aurait accédé à leur demande, s’il avait vu