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pourrait le décider à se rendre au bâtiment naufragé, mais il avait reconnu bientôt qu’il n’y fallait pas songer, et qu’un bâtiment de première classe de Philadelphie pouvait mieux employer son temps qu’à recueillir les débris d’un naufrage. Le John, avec tout ce qu’il contenait, fut donc abandonné à son sort. Marbre, toutefois, était d’avis que le dernier ouragan avait dû le briser en mille pièces, et livrer ses débris à l’Océan. Jamais nous n’en entendîmes parler, ni ne recouvrâmes un seul des objets qu’il contenait.

Nombreuses furent les discussions entre le capitaine Robbins et ses deux lieutenants sur les erreurs d’estime qui les avaient entraînés si loin de leur route. À cette époque, la navigation n’était pas une chose aussi simple qu’elle l’est devenue depuis. Il est vrai qu’on mesurait parfois la distance de la lune à bord des grands bâtiments allant aux Indes ; mais ce n’était pas une habitude journalière, comme les observations actuelles du matin et de l’après-midi pour obtenir le temps, et, par le moyen du chronomètre, la longitude. Et puis nous étions sortis trop récemment des Îles pour avoir grand besoin d’un surcroît de travail ; et les « courants infernaux » nous avaient donné assez de fil à retordre. Marbre était un très bon navigateur, malgré la simplicité de son extérieur et sa rudesse apparente : il montra une grande délicatesse dans ses procédés à l’égard de son ancien commandant, lui promettant de faire tout ce qu’il pourrait, quand il serait de retour chez lui, pour éclaircir la question. Pour Kite, il n’en savait pas long, et il avait la discrétion de se taire presque toujours. Cette modération n’en rendit notre traversée que plus agréable.

Le Tigris était très-bon voilier ; il était un peu plus grand que le John, et portait douze canons de neuf. Par suite des additions faites à son équipage, pour un motif ou pour un autre, il était alors monté de près de cinquante hommes. Le capitaine Digges avait certains goûts belliqueux, et longtemps avant que nous fussions à la hauteur du Cap, il nous avait tous divisés en compagnies, et dressés à l’exercice du canon. Il avait aussi eu une affaire avec quelques pros, et il aimait à parler de la leçon qu’il avait donnée à ces misérables. Je crus un moment qu’il était jaloux de nos exploits ; mais ce pouvait être pure imagination de ma part ; car il loua beaucoup notre courage. Les nouvelles particulières qu’il avait reçues sur l’état des relations entre la France et les États-Unis, donnaient un nouvel élan à ses penchants guerriers, et lorsque nous arrivâmes à Sainte-Hélène, son navire était en très-bon état de défense pour un bâtiment marchand. Le capitaine se ravitailla dans cette île, mais il n’apprit rien d’intéressant. Les habitants avec lesquels nous eûmes des rapports ne