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ardeur qui faisait honneur à sa philosophie. Pour lui rendre justice, il semblait regarder une excursion de quatre cents milles à bord d’un petit canot comme une chose toute simple, et il lui semblait que tout devait suivre naturellement son cours, comme s’il eût été encore à bord du John. Chacun de nous fit un somme aussi bon que le permit le peu d’espace dont nous pouvions disposer.

Le vent fraîchit dans la matinée, et la mer commença à briser ; ce qui nous obligeait à laisser porter encore davantage pour ne pas être couverts par la mer, ou à tenir la cape, ce qui nous aurait préservés du même danger. Mais le capitaine préféra le second moyen, à cause du courant. Nous eûmes beaucoup à faire à bord du canot, et il fallut bien nous décider à porter de la voile pour aller de conserve avec la chaloupe, qui nous battait, maintenant que le vent était augmenté. Navire ou canot, Marbre n’avait pas son pareil pour manœuvrer, et nous nous maintînmes admirablement, les deux embarcations n’étant jamais à plus d’une encâblure l’une de l’autre, et presque toujours à portée de la voix. Cependant, à l’approche de la nuit, on délibéra pour savoir s’il fallait continuer à voguer de conserve. Il y avait trente heures que nous naviguions, et nous avions fait cent cinquante milles, d’après notre estime. Par bonheur le vent était passé presque à l’ouest, et nous marchions grand train, quoique nous eussions beaucoup de peine à vider l’eau qui remplissait le canot. L’un de nous y était constamment occupé, et quelquefois nous étions tous quatre à l’œuvre ; Une nouvelle conférence eut lieu, et le capitaine proposa d’abandonner le canot, et de nous prendre à bord de la chaloupe, quoiqu’il n’y eût pas trop de place pour nous recevoir. Mais M. Marbre refusa, en disant qu’il pouvait encore répondre du canot, au moins pour quelque temps. L’ancien arrangement fut donc maintenu, et l’on chercha à se tenir le plus près possible l’un de l’autre.

Vers minuit, des rafales commencèrent à se faire sentir, et il fallut rentrer nos voiles, sortir nos avirons, et faire tête à la lame, pour ne pas être submergés. La conséquence fut que nous perdions de vue la chaloupe ; et, malgré notre soin à tenir notre route, dès que les rafales le permettaient, quand le soleil se leva, nous ne vîmes aucune trace de nos compagnons. J’ai pensé quelquefois que M. Marbre les avait perdus à dessein, quoiqu’il parût fort tourmenté en ne les voyant plus. Après avoir regardé de tous côtés pendant une heure, le vent se calmant, nous portâmes au plus près, direction qui nous aurait vite éloignés de la chaloupe, quand même nous aurions été bord à bord. Nous fîmes bonne route ce jour-là ; et le soir, nous avions fait, suivant nous, plus de la moitié du chemin vers notre port. Le vent se calma