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de ces élévations mobiles de l’eau, touchant légèrement en avançant dans l’espace. La secousse fut faible, et causa peu d’alarmes. Le capitaine saisit alors M. Marbre par la main, et il la lui secouait de tout son cœur, quand le navire tomba tout à coup, à peu près comme un homme qui a heurté une pierre au moment où il s’attendait le moins à trouver un obstacle sur son chemin. Le coup fut terrible ; la moitié des hommes d’équipage furent renversés ; au même instant nos trois mâts de hune tombèrent sous le vent.

Il est difficile de donner une idée exacte de la confusion qui accompagna une scène aussi effroyable. Le mouvement du navire fut arrêté tout à coup, comme s’il eût rencontré un mur d’airain, et on eût dit que toute la machine allait tomber en pièces. La première lame qui survint, et qui sans nous aurait continué ses ondulations vers la terre, rencontrant un si vaste corps sur son chemin, se cabra en quelque sorte, et s’élevant en montagne, se brisa sur nos ponts, en les couvrant d’eau. En même temps la carène fut soulevée, et à l’aide du vent, de la mer et du courant, elle s’enfonça encore plus avant dans le récif, frappant de manière à briser de fortes chevilles de fer comme autant de bâtons de cire à cacheter, et faisant craquer les varangues comme si elles eussent été faites avec des roseaux.

Le capitaine était frappé de stupeur ; pendant un moment une expression de désespoir se peignit dans tous ses traits, puis il reprit tout son sang-froid. Il donna l’ordre de porter l’ancre d’affourche sur la chaloupe, et une ancre à jet sur le petit canot. Marbre répondit par le : oui, oui, commandant ! d’usage ; mais avant de nous envoyer aux embarcations, il se hasarda à faire observer que le navire était crevé. Il avait entendu craquer des bois de manière à ce qu’il ne pût y avoir de méprise. Les pompes furent sondées : le bâtiment avait sept pieds d’eau dans sa cale, et cela en dix minutes tout au plus. Cependant le capitaine ne voulait pas abandonner son navire. Il commença par nous ordonner de jeter les thés à la mer, afin d’apprécier, s’il était possible, l’étendue du mal. On fit un trou dans le faux pont ; et, au fond de la cale, on rencontra l’eau. Pendant ce temps, un marin de la mer du Sud que nous avions pris à Canton plongea sous le vent de la partie de la carène sur laquelle reposait le bâtiment échoué. Il revint bientôt annoncer qu’un quartier de roc avait traversé les bordages. Tout tendant à confirmer cette triste nouvelle, le capitaine rassembla tout l’équipage sur le gaillard d’arrière pour tenir conseil sur les mesures à prendre.

Un bâtiment marchand n’a plus droit aux services de son équipage après qu’il est naufragé. L’équipage a une sorte d’hypothèque légale