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terre, tantôt du sud, du nord-est, en un mot de tous les côtés. Il y avait des moments où on aurait cru que les murmures de l’Océan sortaient de dessous l’arrière du navire, et l’instant d’après c’était tout contre les bossoirs qu’ils semblaient éclater avec le plus de force.

Heureusement le vent était faible, et le bâtiment ne fatiguait pas trop à l’ancre. Une longue et forte lame de fond roulait du sud-ouest, mais la sonde nous donnant huit brasses, la mer ne brisait pas exactement à l’endroit où nous étions mouillés, quoique ce ne dût pas être bien loin. À un certain moment l’impatience du capitaine devint telle, qu’il voulait absolument se jeter dans un canot pour faire le tour de l’ancrage, et devancer le jour ; mais sur l’observation de M. Marbre qu’il pourrait bien donner contre quelque récif et faire capot, il se décida à attendre.

L’aurore parut enfin, après deux ou trois des plus longues heures que j’aie jamais passées. Jamais je n’oublierai l’espèce de fureur empressée avec laquelle nous regardâmes tous autour de nous. D’abord, se dessinèrent les contours de la terre adjacente ; puis, à mesure que la lumière se répandit dans l’atmosphère, nous pûmes saisir quelques détails. Il fut bientôt certain que nous étions à une encâblure de rochers perpendiculaires de plusieurs centaines de pieds de hauteur ; c’étaient dans les cavernes de ces rochers que la mer s’élançait parfois en produisant ces mugissements terribles, sur lesquels une oreille expérimentée ne saurait se méprendre. Ils s’étendaient à perte de vue à droite et à gauche, de sorte que le malheureux marin qui aurait fait naufrage sur cette côte inhospitalière n’aurait pu manquer de se noyer. Devant, derrière, autour de nous, des récifs détachés, des brisants, des écueils ; preuves certaines de la manière miraculeuse dont la Providence nous avait guidés pendant les ténèbres.

Lorsque le soleil parut, car le jour s’annonça clair et pur, nous avions obtenu une connaissance assez passable de la situation critique dans laquelle nous avions été placés par suite de la théorie du capitaine sur les courants. Le cap même que nous devions doubler en dérivant, était à quelque dix lieues presque debout au vent, comme la brise était alors ; tandis que sous le vent, s’étendait cette même barrière de rochers infranchissables. Telle fut ma première introduction à l’île de Madagascar, portion du monde peut-être la moins connue de toutes, des marins de la chrétienté, relativement à sa position, à sa grandeur, à ses productions. À l’époque de cette histoire, on en savait encore beaucoup moins qu’aujourd’hui sur cette vaste contrée, quoique les connaissances à ce sujet, même de nos contemporains immédiats, soient encore excessivement bornées.