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ou soixante balles à nos oreilles. Heureusement elles passèrent toutes au-dessus de nos têtes. Personne à bord du John ne fut blessé.

Nous ne voulûmes pas être en reste, et nos quatre pièces lâchèrent leur bordée, deux sur le pros le plus proche, deux sur le plus éloigné, qui n’était pourtant qu’à une encâblure. Comme il arrive souvent, celui qui semblait le plus loin du danger fut le plus maltraité. Notre mitraille eut de la place pour s’éparpiller, et aujourd’hui je crois encore entendre les cris de désespoir qui s’élevèrent de son bord. L’effet fut instantané. Au lieu de se maintenir de conserve avec l’autre pros, il vira tout à coup de bord, et prit chasse, sans doute pour se mettre à l’abri de notre feu.

Je ne crois pas qu’un seul homme eût été atteint à bord du pros le plus proche. En tout cas aucun bruit ne s’y faisait entendre, et il porta vivement sous notre bossoir. Comme tous nos canons étaient déchargés, et que le temps manquait pour les charger de nouveau, il s’agissait de repousser ceux qui voudraient sauter à l’abordage. Une partie de nos gens se réunirent sur le pont de cordage, les autres sur le gaillard d’avant. Au moment où cette répartition venait d’être faite, les pirates jetèrent leur grappin. Quoique admirablement jeté, il ne tomba que sur une enfléchure. Je le vis, et j’allais m’élancer aux agrès, quand Neb me devança encore et coupa l’enfléchure avec son couteau. C’était le moment où les pirates avaient abandonné voiles et avirons, et étaient montés pour s’élancer à bord. La secousse fut si brusque qu’une vingtaine d’entre eux tombèrent par-dessus bord. Aussitôt notre bâtiment alla de l’avant à pleines voiles, et passa assez près du pros pour que les hommes du John qui étaient sur l’arrière pussent voir distinctement les figures basanées de leurs ennemis.

Nous ne fûmes pas plutôt libres que le commandement de : pare à virer ! fut donné. La barre fut mise dessous, et le bâtiment porta au vent en une minute. Avant de nous éloigner, nous lâchâmes une dernière bordée de toutes nos pièces, et je crois que pour cette fois le pros le plus proche en eut sa bonne part, car il vira de bord aussitôt, rejoignit son camarade, et tous deux cinglèrent vers les îles à qui mieux mieux. Nous fîmes mine de leur donner la chasse, mais ce n’était qu’une feinte, car nous étions trop contents d’en être délivrés.

On ne doit pas supposer que nous n’eûmes rien de plus pressé que d’aller dormir. Cela fut vrai de Neb, qui ne manquait jamais une occasion de manger ou de dormir, mais il fut le seul. Le capitaine