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Je m’attendais à entendre tirer les canons l’un après l’autre ; mais on se tenait prêt, sans faire feu. Kite alla à l’arrière, et revint avec trois ou quatre mousquets et autant de piques. Il donna les piques aux hommes qui n’avaient point à servir les pièces. Notre bâtiment était alors au plus près du vent, faisant porter plein, tandis que les deux pros étaient droit par notre travers. Des deux côtés régnait un silence de mort. Cependant ils restèrent un peu de l’arrière ; et, comme ils marchaient plus vite que nous, le but de leur manœuvre était évidemment de se mettre dans nos eaux, afin d’avoir beaupré sur poupe, et d’éviter notre bordée. Comme ce n’était pas notre affaire, et que le vent vint à fraîchir de manière à nous donner un espace de quatre à cinq nœuds, circonstance très-heureuse pour nous, le capitaine se décida à virer de bord pendant qu’il avait la place nécessaire. Le John se comporta merveilleusement, et tourna sur lui-même comme une toupie. Les pros virent qu’il n’y avait pas de temps à perdre, et essayèrent de nous rejoindre, avant que nous pussions décharger nos voiles, et ils auraient réussi avec quatre-vingt-dix-neuf bâtiments sur cent. Mais le capitaine connaissait son bâtiment ; il ne lui laissa pas perdre de terrain, toutes les voiles le portant de nouveau en avant, comme par instinct. Les pros virèrent également, et comme ils étaient beaucoup plus près du vent, il semblait qu’ils n’avaient plus qu’à jeter le grappin sur nous. Si les pirates nous abordaient, nous étions perdus sans ressources ; il fallait, plus que jamais, du calme et du sang-froid. Le capitaine se montra à la hauteur de sa position dans cette circonstance critique, enjoignant un silence complet et la plus stricte attention à ses ordres.

J’étais alors trop intéressé pour éprouver l’inquiétude qu’autrement je n’aurais pas manqué de ressentir. Sur l’avant, nous pensions que l’abordage aurait lieu avant une minute ; car l’un des pros était alors à moins de cent pieds, quoique perdant un peu de son avantage en se trouvant sous le vent de nos voiles. Kite nous avait dit de nous rassembler sur le passe-avant, de répondre à l’abordage par une décharge de mousqueterie, et ensuite de présenter nos piques, lorsque je sentis un bras qui me saisissait par le milieu du corps, et je fus repoussé en dedans du bord, tandis qu’une autre personne prenait ma place. C’était Neb qui s’était précipité devant moi, pour affronter le premier le danger. J’en fus mortifié, tout en étant touché de cette nouvelle preuve d’affection et de dévouement du pauvre garçon, mais j’avais eu à peine le temps de la réflexion que les deux équipages des pros, en poussant un grand cri, firent siffler cinquante