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donné de filer toutes les écoutes, et alors je reconnus que nous virions vent arrière. Rien ne nous sauva que la promptitude avec laquelle M. Marbre donna ce commandement, grâce auquel, au lieu de porter vers les pros, nous commençâmes à nous en éloigner. Quoiqu’ils fissent trois pas sur nous deux, cela nous donna un moment pour respirer.

J’en profitai pour jeter un regard autour de moi. Je vis les deux pros, et je reconnus avec plaisir qu’ils ne nous avaient pas gagnés d’une manière sensible. M. Kite le remarqua également, et dit que nos mouvements avaient été si prompts que nous avions fait « culer les drôles. » Il voulait dire qu’ils n’avaient pas compris notre manœuvre, et qu’ils n’en avaient pas fait une semblable.

À cet instant, le capitaine et cinq ou six des plus vieux marins, commencèrent à démarrer tous nos canons de tribord, au nombre de quatre ; c’étaient des pièces de six. Nous les avions chargées à mitraille dans le détroit de Banca, afin d’être prêts à parler aux pirates que nous pourrions rencontrer, et rien ne manquait, que l’amorce et une pince chaude. Il paraît qu’on en avait fait mettre deux au feu, quand nous avions vu les pros au coucher du soleil ; et elles étaient alors toutes prêtes à servir, du charbon vif ayant été entretenu toute la nuit par ordre autour d’elles. Je vis de l’avant un groupe d’hommes occupés auprès du second canon et le capitaine qui le pointait.

— Il ne saurait y avoir de méprise, monsieur Marbre ? demanda le capitaine, hésitant s’il ferait feu ou non.

— De méprise, commandant ! grand Dieu ! vous auriez beau canonner pendant une semaine toutes les îles qui restent à l’arrière, que vous n’atteindriez jamais un honnête homme. Envoyez-leur cela, commandant. Je vous réponds qu’ils le méritent.

La question se trouvait décidée. La pince fut appliquée, et l’une de nos pièces fit entendre son langage expressif. Un silence solennel succéda. Les pros continuaient à approcher ; le capitaine braqua sa longue vue de nuit, et je l’entendis qui disait à Kite, à voix basse, que leurs ponts étaient couverts d’hommes. L’ordre fut alors donné de démarrer tous les canons sans exception, d’ouvrir le coffre aux armes, et d’en tirer les mousquets et les pistolets. J’entendis le cliquetis des piques d’abordage, lorsqu’elles furent détachées du gui de brigantine et qu’elles tombèrent sur le pont. Tous ces apprêts avaient quelque chose de lugubre, et je commençai à croire que nous aurions une lutte désespérée pour commencer, et tous le cou coupé pour finir.