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courait au plus près, sous ses cacatois. Comme tout le monde s’était attendu à une nuit paisible, où il n’y aurait ni ris à prendre, ni voiles à ferler, la plupart des hommes de quart dormaient de côté et d’autre, partout où ils avaient pu s’allonger en dérangeant le moins possible. Je ne saurais dire ce qui me tint éveillé ; car, à mon âge, on est toujours porté à dormir le plus qu’on peut. Je pensais sans doute à Clawbonny, à Grace, à Lucie, l’excellente fille, dont l’image était sans cesse présente à mes yeux dans ces jours d’innocence. Enfin, j’étais éveillé, et j’arpentais le passe-avant du vent d’un pas de marin. M. Marbre ronflait, je crois, paisiblement, sur la cage à poules. Dans ce moment, j’entendis un bruit familier aux marins, celui d’un aviron tombant dans un canot. Mon esprit errait si complètement dans un autre monde d’idées et de sentiments, que, d’abord, je n’éprouvai point de surprise, comme si nous avions été dans un port, entourés de bâtiments de toute grandeur, se croisant dans toutes les directions ; mais une seconde pensée détruisit cette illusion, et je regardai vivement autour de moi. En droite ligne, sur notre bossoir du vent, peut-être à une encablure de distance, je vis une petite voile, et je pus la distinguer assez pour me convaincre que c’était un pros. Je m’écriai aussitôt : — Une embarcation ! et tout près du bord.

M. Marbre fut sur pied en un instant. Il me dit ensuite que, lorsqu’il avait ouvert les yeux, ce qu’il m’avoua en confidence, ils étaient tombés droit sur le bâtiment. Il avait trop d’expérience pour avoir besoin d’un second coup d’œil pour savoir ce qu’il fallait faire. — Arrive, arrive tout ! cria-t-il au timonier, — brasse carré ; tout le monde en haut ! — Capitaine Robbins, monsieur Kite, venez vite, ces maudits pros sont bord à bord.

Tout le monde était déjà en mouvement. On ne saurait croire combien les matelots sont vite éveillés, quand il y a véritablement quelque chose à faire. Tous nos hommes étaient sur le pont en moins d’une minute, la plupart n’ayant sur eux que leurs chemises et leurs pantalons. Le bâtiment faisait presque vent arrière, lorsque j’entendis la voix du capitaine ; et alors M. Kite vint nous rejoindre, ordonnant à la plupart des matelots de haler sur les bras de misaine, tandis qu’il restait lui-même sur le gaillard d’avant et me conservait auprès de lui pour filer les écoutes. De l’avant, on ne voyait plus la voile étrangère, qui était alors sur l’arrière du travers ; mais j’entendais M. Marbre jurer qu’il y en avait deux, et que ce devaient être les drôles que nous avions vus sous le vent, et qui gouvernaient vers la terre au coucher du soleil. J’entendis aussi le capitaine demander une corne à poudre. Immédiatement après, l’ordre fut