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nous vîmes des Chinois ce qu’il est possible à un étranger d’en voir, et ce n’est pas beaucoup dire. J’allai souvent aux factoreries avec le capitaine, étant chargé de son canot. Quant à Rupert, il passait la plus grande partie de son temps à aider le subrécargue à terre, ou à écrire dans la chambre du capitaine. Je ne négligeais pourtant pas mon instruction, et j’appris à me servir du maillet à fourrer, de l’épissoir et de la manivelle, sans rester étranger à l’aiguille et à la paumelle de voilier.

Marbre, malgré sa figure rébarbative, était très-bon pour moi, et il me continuait ses leçons. C’était, parmi les officiers, à qui contribuerait à rendre le fils du capitaine Wallingford digne de son origine honorable. Je glissai un jour dans la conversation que le bisaïeul de Rupert avait été capitaine d’un vaisseau de guerre, mais M. Kite, le troisième officier, refusa net de le croire. M. Marbre fit la réflexion qu’à la rigueur la chose était possible, puisque je convenais que son père et son grand-père avaient été ou étaient dans l’Église.

Nous repartîmes au commencement du printemps de 1798. Nous avions traversé la mer de Chine et nous cinglions à pleines voiles dans l’Océan indien, quand il arriva une aventure, la première de notre voyage qui mérite réellement d’être racontée. Je vais le faire en aussi peu de mots que possible :

Nous étions sortis du détroit de la Sonde au point du jour, et nous avions bien marché dans la journée, quoique par un brouillard épais. Cependant, au coucher du soleil, le temps s’éclaircit, et nous aperçûmes deux petits bâtiments qui semblaient se diriger vers la côte de Sumatra. D’après leur gréement et leurs dimensions, c’étaient des pros. Ils étaient si éloignés et se dirigeaient si évidemment vers la terre, que personne n’y fit beaucoup d’attention. Ce genre de bâtiments n’est jamais vu sans inquiétude dans cette partie des mers, quoique souvent bien à tort ; car les actes de violence de leur part sont bien moins communs qu’on ne le suppose. Au surplus, la nuit survint et les déroba complètement à notre vue. Une heure après le coucher du soleil, il n’y avait qu’un souffle de vent qui semblait devoir imprimer à peine à notre bâtiment la rapidité nécessaire pour gouverner. Mais le John n’était pas seulement bon voilier, il sentait le gouvernail comme une jeune fille sent la mesure dans une valse légère. Jamais je n’avais été à bord d’un bâtiment qui gouvernât mieux, surtout par un temps ordinaire.

M. Marbre avait le deuxième quart de nuit, et par conséquent je fus sur le pont de minuit à quatre heures. Pendant une heure entière, il tomba une pluie fine. Le bâtiment, pendant tout ce temps,