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suivi, et que le goût des aventures n’avait été pour lui qu’un mobile secondaire, tandis que moi, je n’avais obéi qu’à cet instinct aveugle en brisant tous les liens du cœur.

Lorsque le capitaine monta sur le pont, on lui raconta l’histoire de Neb, et en voyant ce jeune nègre plein de vigueur et de santé, il calcula que c’étaient deux bons bras qui lui seraient utiles et qui ne lui coûteraient rien, et il ne fit pas difficulté de l’admettre dans l’équipage. À la grande joie de Neb, comme il n’y avait aucune place vacante pour lui aux fourneaux, ni au service du capitaine, ce fut au service des vergues et des manœuvres qu’il fut destiné. Le nègre commença par satisfaire son appétit, et puis il fut placé dans le quart de tribord. Cet arrangement me fit plaisir, car je n’aurais pas aimé à le voir du même quart que moi, attendu que, dans son zèle officieux, il eût toujours voulu faire ma besogne. Rupert ne fut pas si scrupuleux, et j’appris, par la suite, qu’il se faisait suppléer par lui, toutes les fois que la chose était possible. À force de questionner Neb, j’appris qu’il avait conduit le bateau à l’endroit que nous lui avions indiqué, qu’il l’avait vu mettre à bord du Wallingford, et que, grâce à un ou deux dollars que je lui avais donnés en partant, il avait été se loger dans une taverne fréquentée par des gens de son espèce, jusqu’au moment où le bâtiment devait appareiller, et qu’alors il s’était faufilé à bord et roulé parmi les barriques.

L’apparition de Neb cessa bientôt d’être un événement, et son zèle ne tarda pas à le rendre le favori de l’équipage. Robuste, actif, accoutumé au travail, il était au premier rang pour tous les ouvrages qui demandaient des muscles et de la force ; et même sur les mâts, quoique moins agile qu’un blanc, il savait se rendre utile. Je puis le dire sans vanité, parce que c’est la vérité, mes progrès faisaient aussi l’admiration générale. En moins d’une semaine, j’étais familier avec les manœuvres courantes ; je reconnaissais un cordage à sa grosseur, à l’endroit où il était placé, à la manière dont il était plié, même au milieu de la nuit la plus sombre, comme le plus vieux marin qui fût à bord. Je le devais d’abord au modèle de navire que j’avais à la maison ; mais aussi, il faut considérer qu’à l’abri du mal de mer, dont je n’éprouvai jamais la plus légère atteinte, je m’étais mis à étudier toutes ces choses avec une ardeur qui fut récompensée par le succès. Au bout de quinze jours, je mettais seul les rabans du perroquet de fougue ; et, avant de passer la ligne, ceux du grand et du petit perroquet. En toute occasion, M. Marbre se faisait un plaisir de m’employer, et il me donnait en particulier toutes les explications nécessaires. Le capitaine, de son côté, complétait mon instruction