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Les deux ou trois jours qui suivirent, je passai délicieusement mon temps. J’étais presque toujours sur les mâts. Il fallait enverguer toutes les voiles, et je ne fus pas un des moins occupés. Je serrai la perruche de mes propres mains, le bâtiment portant des cacatois gréés, et il paraît que je m’en acquittai d’une manière très-honorable, car il fallut cinq minutes à celui qui me succéda pour larguer les garcettes. Ensuite il vint à pleuvoir, et il fallut larguer les voiles pour les faire sécher. Je les laissai tomber de mes propres mains, et lorsqu’il fallut plier de nouveau la toile sur la vergue, je me chargeai seul des trois perroquets. Mon père m’avait appris à faire un nœud plat, une bouline, un nœud en demi-clef, et une longue et courte épissure. Tout cela me servit, ainsi que les études que j’avais faites sur le modèle de vaisseau que j’avais à la maison ; si bien que Marbre ne put s’empêcher de dire que j’étais le novice le moins novice qu’il eût encore rencontré.

Pendant tout ce temps, Rupert était tenu à ses écritures. Un jour il eut la permission d’aller à terre, — c’était la veille du jour où nous devions appareiller, — et j’observai qu’il avait mis ses habits de ville. Je m’échappai dans l’après-midi pour courir à la poste, et je remontai jusqu’à Broadway, ne connaissant pas trop mon chemin. Tout le monde alors, j’entends ceux qu’on peut appeler le monde, surtout ceux qui n’étaient pas mariés, se promenaient dans cette rue, depuis la Batterie jusqu’à l’église de Saint-Paul, entre midi et deux heures, lorsque le temps le permettait. J’y vis mon Rupert s’y pavanant dans son costume provincial, qui n’avait rien de remarquable assurément, mais qui cependant ne pouvait détruire l’effet de sa bonne mine. Il se faisait tard, et il quittait la rue au moment où je l’aperçus. J’attendis pour lui parler que nous fussions à l’écart, car je savais qu’il serait mortifié de paraître l’ami d’un simple matelot, au milieu du beau monde.

Rupert entra dans un hôtel, et en ressortit aussitôt une lettre à la main. Il avait été à la poste, et je n’hésitai plus à l’aborder.

— C’est de Clawbonny ? demandai-je avec empressement ; de Lucie, n’est ce pas ?

— De Clawbonny, mais de Grace, répondit-il en rougissant légèrement. J’avais prié la pauvre enfant de m’apprendre comment les choses se passeraient après notre départ. Quant à Lucie, je ne sais pas comment elle écrit, et je ne m’en inquiète guère.

J’étais blessé que ma sœur écrivît à un jeune homme ; si la sœur de Rupert m’eût écrit, comme elle me l’avait promis également sur le quai, les yeux tout en larmes, j’aurais trouvé la chose toute natu-