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nos sacs sur un quai près duquel se trouvaient des bâtiments de New-Jersey, comme si nous avions l’intention de nous embarquer sur l’un de ces navires. Le voiturier nous laissa, sans s’inquiéter de ce que deviendraient deux jeunes mousses. Au bout d’une demi-heure, une autre charrette fut appelée, et peu de temps après nous étions à bord du John, installés sur le gaillard d’avant. Le capitaine Robbins nous avait pourvus de coffres dans lesquels se trouvait tout l’accoutrement nécessaire pour une si longue traversée. Les trois mois d’avance que nous devions recevoir sur notre solde, étaient destinés à payer cette dépense. Nous endossâmes aussitôt notre nouveau costume et de petites vestes rondes en toile goudronnée, qui nous changèrent à tel point que nous avions peine à nous reconnaître l’un l’autre.

Pendant que Rupert flanait sur le pont en fumant un cigare, je montai au haut des mâts, visitant toutes les vergues, et je ne revins de ce voyage d’exploration qu’après avoir touché chacune des trois pommes. Le capitaine, les officiers et les manœuvriers souriaient en me regardant, et j’entendis le premier qui disait que j’étais « le vieux Miles tout craché. » En un mot, tout le monde semblait content de l’addition qu’avait reçue l’équipage. J’avais eu soin de montrer que je connaissais le nom et l’emploi de la plupart des cordages, et je ne me sentis jamais si fier que lorsque M. Marbre me cria :

— Attention, Miles ; — allez dépasser les drisses du petit perroquet, et jetez-nous un bout pour en passer de nouvelles.

Je grimpai aussitôt, la tête tout en feu, par suite de cet ordre compliqué, et pourtant je savais assez bien ce que j’avais à faire. Cette opération eût pu être faite par le premier venu, et je m’en acquittai sans peine. M. Marbre me dirigeait d’en bas, et la nouvelle manœuvre fut mise en place avec un succès distingué. C’était mon début dans la carrière, et jamais exploit ne causa plus d’orgueil. Pendant que j’étais ainsi occupé, Rupert était appuyé nonchalamment contre le palan d’étai, fumant son cigare comme un bourgmestre. Mais son tour ne tarda pas à venir. Le capitaine le fit descendre dans la chambre, où il le mit à faire des écritures. Rupert avait une main superbe, et il écrivait très-vite. Le soir même j’entendis le premier lieutenant qui disait à un autre officier que le fils du ministre, adroit comme un barbier, allait devenir le commis du capitaine. — Quand le vieux, ajouta-t-il, veut se mettre à griffonner lui-même sur un chiffon de papier, il fait tant de barres et de raies dans tous les sens que, quand il veut lire, il ne sait par quel bout commencer ; et je ne serais pas surpris qu’il laissât à ce jeune gars la plume derrière l’oreille pendant toute la traversée.