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mais pour ce qui était du reste des manœuvres courantes, j’avais besoin d’y regarder à deux fois avant d’être sûr de mon fait.

Quelque pressé que je fusse de m’embarquer, j’avais tant de plaisir à regarder tout ce que j’avais sous les yeux, qu’il était midi quand nous pûmes trouver le bâtiment que nous cherchions. C’était un joli petit navire de quatre cents tonneaux, appelé le John. Je dis petit, parce qu’on le trouverait tel aujourd’hui ; mais alors un navire de cette dimension était regardé comme grand. Le Manhattan, le plus grand des bâtiments sortis du port, ne portait que sept cents tonneaux, et même parmi ceux qui allaient aux Indes, il y en avait peu de plus de cinq cents tonneaux. Je vois encore le John tel qu’il apparut à mes yeux il y a près de cinquante ans, sans tonture, d’un aspect sévère, avec des plats-bords minces et peu élevés.

Lorsque nous arrivâmes à bord, les officiers étaient justement réunis sur le pont du bâtiment. Ils venaient de présider à l’embarcation de toutes les provisions, et de la petite cargaison qu’il portait. Le premier lieutenant, qui s’appelait Marbre, — et jamais je n’ai vu de figure plus marbrée ; c’était comme une carte sur laquelle on eût tracé plus de rivières que la terre n’en peut alimenter, — cligna l’œil en regardant le capitaine, dès qu’il nous aperçut. Le capitaine sourit, mais ne dit rien.

— Par ici, Messieurs, par ici, dit M. Marbre d’un ton d’encouragement. Quand avez-vous quitté le pays ?

Cette question excita un rire général ; la face même cuivrée d’un mulâtre qui passait devant nous avec quelques ustensiles à la main, se fendit jusqu’aux oreilles en une affreuse grimace à notre intention. Je vis que ce n’était pas le moment de reculer. Il fallait se tenir ferme, ou tout était perdu. En même temps j’étais trop sincère pour me faire passer pour ce que je n’étais pas.

— Nous sommes partis de chez nous la nuit dernière, dans l’espoir de trouver place à bord d’un des bâtiments qui doivent mettre à la voile cette semaine pour les Indes.

— Pas cette semaine, mon garçon, mais la semaine prochaine, dit M. Marbre en plaisantant : c’est dimanche le jour. Nous choisissons toujours le dimanche pour partir, voyez-vous ; qui fait bon choix a bonne chance, comme dit le proverbe. — Ah ! ça, nous nous sommes donc décidés à quitter papa et maman ?

— Je n’ai plus ni père ni mère, répondis-je en ayant peine à retenir mes larmes. J’ai perdu ma mère il y a quelques mois ; et mon père, le capitaine Wallingford, est mort depuis plusieurs années.

Le capitaine du John était un homme d’environ cinquante ans,