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fut autorisé à nous suivre, mais à quelque distance, de manière à ne point paraître de notre société ; car se faire suivre d’un domestique, ce n’est pas le moyen d’obtenir une place sur le gaillard d’avant.

Tel était mon empressement de faire partie de quelque équipage, que je ne voulus pas même m’arrêter pour regarder les merveilles de la ville, mais que j’allai droit au quai. Rupert, qui aimait d’instinct les plaisirs d’une capitale, eût voulu suivre une autre marche ; mais je tins bon, et cette fois je l’emportai. À la première vue on aurait pu nous prendre pour de jeunes mousses de bonne mine qui arrivaient d’un voyage lucratif, et qui, la bourse bien garnie, se promenaient en amateurs.

Le commerce d’Amérique était très-actif en 1797. Il avait beaucoup souffert, il est vrai, par suite de la lutte entre les deux grandes puissances belligérantes de l’époque, l’Angleterre et la France ; et certains procédés de cette dernière nation pouvaient amener des complications embarrassantes dans les relations des deux pays ; mais cependant le commerce maritime était en grande prospérité. Il n’y avait point de semaine où il n’arrivât des bâtiments de toutes les parties du globe, et où il n’en partît un nombre égal. Mais ce que nous cherchions, c’était un navire allant aux Indes : la traversée était plus longue, les bâtiments meilleurs, et l’entreprise plus glorieuse que de traverser simplement l’Atlantique et de revenir. Nous nous dirigeâmes donc vers le Fly-Market[1], auprès duquel nous avions entendu dire qu’on équipait trois ou quatre bâtiments comme celui que nous cherchions. Ce marché a depuis lors profité de ses ailes pour disparaître.

Je dévorais des yeux tous les navires devant lesquels nous passions. Jusqu’à la veille, je n’avais jamais vu de bâtiment gréé en voiles carrées ; et jamais enthousiaste des arts ne savoura plus avidement un beau tableau ou une belle statue que je ne dévorais des yeux tout ce que je voyais. J’avais à Clawbonny un modèle d’un trois mâts avec tous ses agrès ; et j’avais assez profité des leçons de mon père pour connaître le nom des moindres cordages et avoir pris des idées assez précises sur l’emploi qu’on en pouvait faire. Ces premières leçons me furent alors très-utiles, quoique d’abord il me fût assez difficile de retrouver mes anciennes connaissances sur la vaste échelle où elles se présentaient alors, et au milieu de ce labyrinthe inextricable qui se dessinait sur les cieux. Les bras, les haubans, les étais, les drisses, étaient assez clairs, et je pouvais les montrer à l’instant,

  1. Marché aux Mouches.