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des jeunes gens, quoique vous nous traitiez d’enfants aujourd’hui.

Ce dernier tableau consola un peu les deux amies. Rupert, qui jusque-là s’était tenu à l’écart, me laissant toute la peine, vint enfin à mon aide, et avec sa manière subtile et son ton mielleux, il se mit à faire paraître bien ce qui était mal. Je ne crois pas qu’il réussit à tromper sa sœur ; mais il n’eut, je le crains, que trop d’influence sur la mienne. Lucie, quoique tout cœur, était aussi positive que son frère était alambiqué. Il était ingénieux à masquer la vérité ; mais elle ne manquait presque jamais de déchirer le voile. Je ne vis jamais de plus grand contraste que celui qu’offraient ces deux enfants du même lit. J’ai entendu dire que le fils tenait de sa mère, et la fille de son père. Cependant mistress Hardinge était morte trop jeune pour avoir pu exercer aucune influence morale sur ses enfants.

Nous reprîmes la discussion les deux ou trois jours suivants. Nos sœurs redoublèrent d’efforts pour nous décider à consulter M. Hardinge, mais inutilement. Nous savions que nous pouvions compter sur leur discrétion, et nous restâmes fermes comme des rocs. Comme nous nous y attendions, dès qu’elles reconnurent qu’elles n’obtiendraient rien, elles se mirent à nous seconder de leur mieux. Elles nous firent deux sacs en toile à chacun pour nos effets, et elles nous aidèrent à nous procurer des vêtements plus convenables pour l’expédition que nous méditions, que ceux que nous avions déjà. Nous résolûmes de laisser nos longues robes à la maison, n’emportant qu’un seul habillement complet, et le plus simple. Au bout d’une semaine, tout était prêt ; nos sacs, bien ficelés, étaient cachés dans le magasin sur le bord de la crique. Je pouvais en avoir la clef à tout moment, car, en ma qualité d’héritier présomptif, j’exerçais déjà une certaine autorité dans la ferme.

Quant à Neb, il eut pour instructions de tenir le bateau prêt pour le mardi suivant. Le Wallingford de Clawbonny — c’était le nom du sloop — devait partir la veille pour un de ses voyages réguliers, et, par conséquent, il ne pourrait nous poursuivre. J’avais fait tous mes calculs au sujet de la marée. Je savais que le Wallingford devait appareiller à neuf heures du matin ; nous partirions, nous, un peu avant minuit. Il était nécessaire, pour ne pas être aperçus, de partir le soir, lorsqu’il n’y avait plus risque de rencontrer personne.

Le mardi fut un jour triste et pénible pour nous tous, à l’exception de M. Hardinge, qui, n’ayant aucun soupçon, avait conservé son calme et sa sérénité ordinaire. Rupert avait l’air gêné et contraint, tandis que les yeux des deux chères filles étaient à peine un moment sans larmes. Grace semblait la plus maîtresse d’elle-même,