Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/402

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’y rattachait, que je crois vraiment qu’elle ne s’en aperçut même pas.

Si les passagers du Goëland étaient portés à la raillerie, il n’en était pas de même du patron, ni de son pilote hollandais, ni des deux nègres, le cuisinier et le maître d’hôtel, ni du reste de l’équipage qui se composait d’un matelot et d’un mousse. Il y avait eu des générations de sloops portant le nom de Wallingford, six pour le moins ; mais celui-ci, que mon père avait fait construire, était surtout célèbre, et tous les marins du fleuve le connaissaient. Aussi le patron du Goëland ôta-t-il son chapeau pour me saluer.

— Je suppose alors que je vois M. Wallingford lui-même. Vous voici enfin de retour parmi nous ; soyez le bien venu ! Je me rappelle le temps où monsieur votre père faisait faire à ce sloop tout ce qu’il voulait. Dieu ! comme il le gouvernait, le brave homme ! C’est la nouvelle couche de peinture, qui est différente de la dernière, qui m’a empêché de reconnaître le sloop. Si j’avais jeté un coup d’œil sur ses bossoirs, je ne m’y serais pas trompé.

Ces paroles me relevèrent un peu ainsi que mon bâtiment dans l’estime des passagers du Goëland. Il y eut quelques phrases échangées à demi-voix sur le gaillard d’arrière ; et un vieillard qui avait l’air le plus respectable s’approcha du bord et me salua.

— C’est sans doute, dit-il, au capitaine Wallingford que j’ai l’honneur de parler, celui avec qui mes amis les Merton sont revenus de Chine ? Ils ont souvent exprimé devant moi leur reconnaissance de tous les soins dont ils ont été l’objet, et ils voudraient toujours naviguer avec vous, s’ils étaient forcés de se remettre en mer.

Ce n’était pas envisager mes relations avec les Merton du point de vue que j’aurais voulu, ni même qui était juste ; et cependant la personne qui me parlait, homme de poids et de considération, croyait me dire la chose du monde la plus agréable. Il est si difficile de juger des sentiments des autres ! Je ne pus me soustraire à la conversation, et il me fallut endurer le supplice d’entendre répéter à plusieurs reprises les noms des Merton, lorsque Grace était tout près et que ce devait être pour elle une cruelle épreuve. Pendant que Lucie et son père échangeaient quelques mots avec des dames qui les avaient reconnus, je jetai un coup d’œil sur Lucie : elle était pâle comme la mort, et paraissait désirer de se retirer dans la chambre. Je m’empressai de l’y conduire, et combien je m’applaudis bientôt de l’avoir fait !

Quand je revins sur le pont, le Wallingford avait pris les devants, et laissé le Goëland à une certaine distance. Lucie alla prendre ma