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était un fin voilier. Il était alors sur son lest ; sa voilure était excellente pour le vent frais que nous avions, et il nous était facile de prendre l’avance sur tous les bâtiments. Aussi Marbre, pour se conformer à mes désirs, n’eut-il pas de peine à rejoindre un sloop dont les ponts étaient couverts de passagers qui semblaient appartenir à l’élite de la société, tandis que sur le gaillard d’avant il y avait un équipage et des chevaux.

Il y avait longtemps que je ne m’étais senti si heureux ; Grace me semblait mieux ; elle était évidemment plus calme et moins nerveuse, et c’était un grand point. Lucie, animée par le spectacle mobile qui se déroulait devant elle, avait des couleurs charmantes, et elle ne tournait jamais les yeux de mon côté qu’avec une expression de confiance et de bonté, où se peignait sinon de l’amour, du moins la plus sincère amitié, tandis que chaque regard, chaque geste, chaque syllabe adressée à Grace, disaient par quels liens étroits les cœurs des deux amies étaient toujours unis. Mon tuteur semblait aussi plus content qu’il ne l’avait été depuis que je lui avais révélé mes sentiments pour sa fille. Il avait mis pour condition au voyage que nous serions de retour à Clawbonny pour l’office du dimanche, et il était occupé à repasser un vieux sermon pour ce jour-là, quoique ses yeux quittassent à chaque instant le manuscrit pour admirer le paysage.

Marbre était enchanté de la marche du Wallingford. Au moment où nous élongions le sloop, qui s’appelait le Goëland, le patron, qui ne pouvait voir notre nom, nous héla.

— Quel est ce sloop ?

Le Wallingford de Clawbonny, qui vient de sortir du port, en partie de plaisir.

Clawbonny n’était pas et n’est pas encore aujourd’hui ce qu’on pourrait appeler une dénomination légale. Si j’avais dit que le sloop venait des environs de Coldenham, ou de Morrisania, les Coldens et les Morris étant des personnes de distinction, on aurait su ce que je voulais dire, et je n’aurais pas entendu de ces rires étouffés qui arrivèrent jusqu’à mes oreilles. Mais les Wallingford étaient tout aussi peu connus que Clawbonny, quand on s’éloignait de quinze ou vingt milles de l’endroit où ils demeuraient depuis si longtemps. Le pauvre Clawbonny se vit donc un peu bafoué, sans doute parce qu’on lui trouvait quelque chose de Hollandais dans le nom, la race anglo-saxonne étant singulièrement portée à dédaigner tout ce qui n’est pas elle ou qui ne vient pas d’elle. Je regardai Lucie pour voir comment elle avait pris ces sarcasmes indirects sur le lieu de ma naissance ; mais elle était si habituée à voir en beau tout ce qui