Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le second rang de la loge était vide, et nos messieurs y passèrent pour étendre librement leurs jambes, de sorte que j’eus la place libre pour m’asseoir à côté de Lucie. Comme elle insista pour entendre, avant tout, mon histoire, je fus obligé de la satisfaire.

— À propos, major Merton, lui dis-je, dès que j’eus terminé mon récit, une de vos vieilles connaissances, Moïse Marbre pour le nommer, est revenu à la vie, et il est en ce moment à New-York.

Je racontai alors la manière dont j’avais rencontré mon vieux lieutenant. J’avais eu là une bien malheureuse idée ; car le major profita de cette occasion pour se mêler à la conversation, et comme l’orchestre commençait l’ouverture de la seconde pièce, il m’emmena dans le corridor pour avoir plus de détails. J’étais au supplice ; et Lucie paraissait contrariée de son côté ; mais il n’y avait pas moyen de s’en défendre, et la seule consolation, c’est que nous n’aurions pu continuer à causer, une fois le rideau levé.

— Vous vous souciez peu sans doute de la petite pièce par laquelle on termine, dit le major après que j’eus raconté les aventures de Marbre ; voulez-vous rester ici jusqu’à ce qu’on sorte ? Nous causerons un peu.

Il fallait bien y consentir, et nous nous promenâmes dans le corridor jusqu’à la fin de l’acte. Le major fut très-aimable ; il semblait n’avoir pas oublié les nombreuses obligations qu’il m’avait. Il se mit à me communiquer quelques détails qui avaient trait à sa position actuelle, et il me fit entendre qu’il était probable qu’il passerait quelques années aux États-Unis. Tout en marchant, je jetais un regard vers la loge toutes les fois que nous passions devant.

— Eh bien ! me dit tout à coup mon compagnon, vos anciens amis les Hardinge ont eu une bonne aubaine, et j’ose dire qu’ils s’y attendaient peu il y a quelques années.

— Sans doute, répondis-je ; quoique la fortune soit tombée en excellentes mains, je suis néanmoins surpris que mistress Bradfort n’ait pas laissé les biens au vieux ministre, puisqu’ils avaient appartenu à leur grand-père commun, et qu’il était le plus proche héritier.

— Elle s’est dit sans doute que l’excellent homme ne saurait qu’en faire. Rupert Hardinge, au contraire, est actif, spirituel, en passe de briller dans le monde ; et la fortune sera mieux placée dans ses mains que dans celles du bon vieillard.

— Le bon vieillard a été pour moi l’intendant le plus zélé, et il eût été le même pour ses enfants. Mais est-ce que Rupert hérite de la totalité de la fortune ?

— Je crois que non ; il doit y avoir quelques dispositions particu-