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ment, quand le bâtiment entrait dans le creux de la lame, s’enflaient avec un bruit semblable à celui que feraient mille couvertures lançant en l’air, au même instant, autant de Sancho Pança. Jusqu’alors la toile et son gréement avaient soutenu ces rudes assauts admirablement bien ; mais, au moment où Talcott redescendait avec ses hommes, l’Aurore fit une de ses brusques embardées ; le foc se gonfla avec un bruit terrible, et il s’envola sous le vent, arraché de la ralingue, comme s’il eût été coupé avec des ciseaux. Devenu le jouet de la tempête, la voile, au grand amusement de Talcott, fut poussée en avant pendant un quart de mille, jusqu’à ce que, tournant sur elle-même, comme un cerf-volant qui a perdu sa queue, elle vînt tomber dans l’eau ; Talcott cessa de rire alors. Je n’aimais pas non plus les gonflements terribles de la voile d’artimon qui ne se détendait un moment que pour s’enfler de plus belle, et qui menaçait à chaque instant de briser toutes les ralingues.

— Il faut serrer cette voile, monsieur Talcott, lui dis-je, ou nous perdrons quelque chose. Je vois que le navire qui est devant nous est à sec de voiles, et il est grand temps d’en faire autant. S’il ne m’en coûtait pas de perdre un pareil vent, il serait plus prudent de mettre en panne. Mettez sur-le-champ du monde aux cargues-fonds et aux cargues-points, et attendez un moment favorable.

Nous avions conservé longtemps notre voilure ; c’est un défaut de jeune home. Toutefois, comme j’étais déterminé à diminuer de voiles, nous nous y préparâmes tout de bon, et avec toutes les précautions exigées par les circonstances. Tous les hommes qu’on pût épargner furent placés aux cargues-fonds et aux cargues-points, avec ordre de faire de leur mieux au signal donné. Le premier lieutenant se mit à l’amure et le second à l’écoute ; je devais serrer moi-même la voile. J’attendis que nous fussions dans le creux de la lame, et alors, au moment où l’Aurore était ensevelie entre deux montagnes d’eau, quand il était impossible de voir à cent verges autour de soi dans aucune direction, et que la voile fouettait le mât, je donnai le signal d’usage ; chacun se mit à haler, comme s’il y allait de sa vie, et nous avions réussi à guinder assez bien les cargues-points, quand le navire sortit de l’abîme pour se présenter à la tempête, et la reçut avec toute sa furie dans la voile qui s’était tendue tout à coup. Tout s’envola en un instant comme une toile d’araignée, il ne restait que des lambeaux. Cet accident me mortifia, en même temps qu’il m’inquiétait, car l’autre bâtiment avait pu voir tout ce qui était arrivé.

Mais il fallait mettre tout orgueil de côté, et songer à pourvoir à la sûreté du navire. Le vent avait toujours augmenté de violence ; les