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testament, je suis aussi sûr qu’elle l’a fait la semaine dernière que de mon existence. Je le tiens d’un ami intime.

Ainsi donc, voilà des étrangers qui n’avaient passé qu’une nuit à New-York, pour chercher un bâtiment, et qui en savaient plus sur une famille que les membres mêmes qui la composaient ! Mais nous n’étions pas au bout.

— Je suppose que miss Lucie Hardinge gagnera quelque chose à la mort de mistress Bradfort, reprit miss Jane, et qu’elle et M. André Drewett se marieront aussitôt que les convenances le permettront.

Il y avait là de quoi donner sérieusement à penser, dans la disposition d’esprit où je me trouvais. Les noms étaient exacts ; quelques uns des incidents, sinon vrais, du moins probables ; et cependant comment des étrangers pouvaient-ils être si bien instruits ? Le commérage, avec toutes ses inventions, tous ses artifices, tous ses mensonges, toutes ses cruautés, a-t-il donc tant d’avantages sur les relations les plus intimes des honnêtes gens entre eux, qu’il finit par découvrir des faits qui échappent à des témoins oculaires, même lorsque ceux-ci ont le plus grand intérêt à ne pas se laisser tromper ? Il m’avait suffi d’entendre prononcer le nom de mistress Greene, pour être convaincu que ce n’était pas la meilleure société de New-York que mes passagers avaient pu voir ; et que, par conséquent, leurs renseignements n’étaient pas puisés à la meilleure source ; et cependant comment avaient-ils pu être informés de l’attachement de Drewett pour Lucie ?

Je me sentis plus malheureux que jamais. Je méprisais ces gens-là. Rien n’était plus facile ; mais il n’était pas aussi aisé d’oublier tout ce qu’ils disaient. Ce qui fait que les personnes qui parlent à tort et à travers sont un si grand fléau ; c’est qu’on ne sait jamais ce qu’on doit croire, ou ne pas croire. Malgré tout mon dégoût, et ma ferme détermination de ne point leur fournir de nouveaux sujets de commérage, j’eus beaucoup de peine à me soustraire à leurs questions sans fin. Je suis sûr qu’ils ne tirèrent rien de moi par voie d’affirmation ; mais je crains bien qu’ils n’aient été plus heureux par celle de la négation. Ces sortes de gens sont si infatigables, qu’à la longue ils vous prennent toujours en défaut. Ainsi ils finirent par découvrir que M. Hardinge était mon tuteur, que Rupert et moi cous avions passé notre enfance ensemble, et que Lucie demeurait chez moi au moment de mon départ. Ces premiers renseignements ne firent qu’allumer leur désir d’en savoir davantage, et je fus circonvenu de toutes les manières ; mais je me retranchai si bien dans le système négatif, que mes inquisiteurs finirent par me laisser tran-