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— Si j’en suis sûr ? mais assez ; je suis à portée de connaître leurs affaires, et je ne crois pas m’avancer trop en le disant.

Être à portée de connaître leurs affaires voulait dire qu’il demeurait dans un rayon de vingt ou trente milles de ceux qui connaissaient les affaires de la maison en question, et qu’il pouvait par conséquent recueillir quelques bribes des propos échappés à des créanciers mécontents. Que ce travers est fréquent chez nous ! on vit assez près l’un de l’autre pour sentir l’influence de tout ce que peuvent engendrer l’envie, la malignité, le désir de nuire, et on croit connaître ainsi des personnes à qui on n’a jamais parlé. La moitié des bruits qui circulent dans le pays ne proviennent pas d’une source plus respectable. Quand donc les hommes apprendront-ils à se tenir en garde contre de pareils propos, assurés d’avance que le bruit qui circule contre telle ou telle personne est presque toujours faux, et n’est jamais complètement vrai ! Mais revenons à mes passagers.

Ils continuèrent à passer en revue toutes les personnes et toutes les familles dont le nom se présenta à leur souvenir, quoiqu’ils parussent ne rien s’apprendre mutuellement, et j’avais pris ce parti de ne plus les écouter, quand le nom de mistress Bradfort frappa mon oreille.

— Le docteur Hosack pense qu’elle ne peut vivre longtemps, à ce que j’ai entendu dire, s’écria Jane, tout enchantée de pouvoir tuer quelqu’un, pourvu qu’elle y trouvât matière à médisance ; sa maladie est un cancer ; c’est une chose décidée, et elle a fait son testament mardi dernier.

— Seulement mardi dernier ! s’écria Sarah, toute surprise. J’avais entendu dire qu’il y avait un an qu’elle l’avait fait, et qu’elle laissait tous ses biens au jeune Rupert Hardinge, dans l’espoir, pensaient quelques personnes, qu’il l’épouserait.

— Comment cela pouvait-il être, ma chère ? demanda le mari ; et quel avantage pouvait-elle avoir à donner ses biens à son époux ?

— Mais est-ce qu’il n’y en aurait pas eu légalement ? je ne sais pas exactement comment cela aurait pu se faire ; car je ne me connais guère en ces sortes de choses ; mais une femme doit avoir intérêt à nommer son héritier la personne qu’elle va épouser. N’a-t-elle pas le tiers de tous les biens de son mari ?

— Mais, mistress Brigham, dis-je en souriant, est-il bien certain d’abord que mistress Bradfort désire épouser Rupert Hardinge ?

— Je ne connais pas assez intimement les parties intéressées pour pouvoir prononcer avec une entière assurance, capitaine ; cependant…