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une question qui reste à examiner, mon cher frère. C’est un sujet sur lequel souvent on n’a pas encore des idées bien arrêtées à votre âge.

Cela était dit d’un ton qui voulait être plaisant, mais où perçait néanmoins un sentiment de tristesse qui me faisait mal. Grace s’aperçut sans doute de l’émotion que j’éprouvais, car elle ajouta aussitôt :

— Nous ferons mieux de changer de sujet. Voyons, Miles, dites-moi pourquoi vous avez désiré particulièrement de me voir ici ?

— Pourquoi ? Vous savez que je dois partir la semaine prochaine ; et nous sommes maintenant d’un âge à nous communiquer nos pensées. Je supposais — c’est-à-dire — il faut qu’il y ait un commencement à toute chose, et autant vaut commencer aujourd’hui que plus tard. Quand je ne vous vois qu’au milieu d’étrangers, comme les Merton et les Hardinge, je ne puis parler librement à ma sœur.

— D’étrangers, Miles ! les Hardinge ! depuis quand les regardez vous ainsi ?

— Tout ce que je veux dire, Grace, c’est qu’ils ne sont pas de notre famille.

— Et ne comptez-vous pour rien l’affection qui nous unit dès l’enfance ? Je ne puis me rappeler un temps où je n’aie pas aimé Lucie Hardinge.

— Je partage vos sentiments ; Lucie est une excellente fille. Mais comme la position des Hardinge se trouve changée, depuis que mistress Bradfort s’est prise tout à coup de belle passion pour eux !

— Tout à coup, Miles ? vous oubliez que vous avez été absent pendant des années, et que pendant cet intervalle on a eu tout le temps de se connaître et de s’aimer. Et puis M. Hardinge et mistress Bradfort sont les enfants de deux sœurs. La fortune de mistress Bradfort, qui s’élève à plus de six mille dollars de revenu en belles et bonnes maisons, vient de leur aïeul commun, qui ne laissa à mistress Hardinge qu’un legs insignifiant, pour la punir d’avoir épousé un ministre. M. Hardinge est l’héritier légal de mistress Bradfort, et il est assez naturel que cette dame songe à laisser ses biens à ceux qui, dans un sens du moins, y ont autant de droits qu’elle-même.

— Et suppose-t-on que Rupert sera son héritier ?

— Je le crois, et je crains bien que Rupert lui-même ne s’en croie sûr. Mais Lucie ne sera pas oubliée. L’affection que lui porte mistress Bradfort est très vive, si vive même que l’hiver dernier elle a offert positivement de l’adopter et de la garder auprès d’elle. Vous savez combien Lucie est bonne et affectueuse, et combien il est facile de l’aimer !