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CHAPITRE XXIV.


Votre nom cité brusquement, quelques éloges donnés par votre oncle à votre conduite, l’annonce de votre retour, appelèrent des couleurs sur ses joues amaigries, et rendirent pour un moment tout leur éclat à ses yeux.
Hillhouse.


Il ne me fut pas difficile de mettre mon projet à exécution. Il y avait à Clawbonny une salle qui, de temps immémorial, avait été consacrée à l’usage exclusif des chefs de la maison. Aussi l’appelait-on « la salle de famille. » Du temps de mon père, jamais je ne me serais permis d’y entrer sans être appelé spécialement ; et même alors j’éprouvais à la porte la même sensation que si j’eusse été sur le seuil d’une église. Ce qui lui donnait encore plus un caractère sacré à nos yeux, c’est que c’était là que les Wallingford étaient déposés dans leurs cercueils à leur mort, avant d’être conduits à leur dernière demeure. C’était une petite pièce triangulaire, avec une cheminée dans un coin, et une seule fenêtre qui donnait sur un buisson de roses, de lilas et de seringas. Autour de ce buisson régnait une petite haie circulaire, comme pour tenir à distance les indiscrets. Le mobilier remontait à l’époque même où la maison avait été bâtie. C’étaient toujours les chaises, les tables, l’ameublement, en un mot, qui avait été rapporté d’Angleterre par Miles Ier, comme nous avions coutume d’appeler l’émigrant ; car s’il était le premier de la dynastie de Clawbonny, il n’était guère que Miles XII dans le pays. Ma mère y avait seulement ajouté une petite causeuse, meuble tout à fait à sa place dans un pareil lieu.

Pour préparer l’entrevue, j’avais glissé dans la main de Grace un petit billet où étaient écrits ces mots : « À six heures précises, dans la salle de famille. » C’était en dire assez : à l’heure indiquée, je me dirigeai vers la pièce en question. La maison était très-grande pour une habitation américaine, chaque propriétaire successif ayant fait des agrandissements, sans jamais toucher aux constructions primitives. Mon tour n’était pas encore venu, mais le lecteur se souviendra peut-être que j’avais eu aussi des projets grandioses. Pour lier entre elles tant de parties diverses, il avait fallu établir beaucoup de passages, de corridors et d’escaliers ; aussi les communications étaient-elles très-faciles, et aucune chambre ne se commandait.

Je commençai à réfléchir sérieusement à ce que j’avais à dire, et à la manière dont je m’y prendrais, pendant que je traversais le long passage qui conduisait à la salle de famille, ou au triangle, comme