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point de préférence entre vous. Grace est pour moi comme Lucie, et Lucie comme Grace.

— Voilà qui vous met à l’aise, miss Hardinge, dit Émilie en adressant un sourire significatif à Lucie ; tant qu’on ne nous traite que comme des sœurs, il n’y a rien à dire ; nos marins ont encore beaucoup à apprendre, en fait de galanterie, quand ils mettent le pied sur la terre-ferme.

Je ne compris pas bien, mais Rupert se mit à rire aux éclats. — Vous voyez, Miles, voilà ce que c’est que de n’être pas entré au barreau ! les dames n’apprécient pas bien le mérite du goudron.

— Je m’en aperçois, répondis-je un peu sèchement ; miss Merton a peut-être vu notre métier de trop près.

Émilie ne répondit rien ; toute son attention semblait concentrée sur les perles, et elle restait étrangère à tout ce qui se disait autour d’elle. J’achevai mon partage.

— Que ferons-nous maintenant ? ajoutai-je ; tirerez-vous au sort, ou vous en rapporterez-vous à mon impartialité ?

— Décidez pour nous, dit Grace ; vous avez fait les parts d’une manière si équitable que nous n’aurons jamais à nous plaindre.

— Eh ! bien donc, voici votre lot, Lucie, et voilà le vôtre, Grace. Grace se leva, jeta ses bras autour de mon cou et m’embrassa de tout son cœur, comme elle l’avait toujours fait quand je lui avais offert quelque petit présent ; le profond attachement qui brillait dans tous ses traits me payait alors au centuple. Dans ce moment, peu s’en fallut que je ne lui donnasse le collier par-dessus le marché ; mais l’image de cette future mistress Wallingford, qui flottait confusément devant mes yeux, m’en empêcha. Quant à Lucie, à ma grande surprise, elle reçut les perles, murmura quelques paroles à peine articulées, mais elle ne se leva pas même de sa chaise. Émilie parut fatiguée de toute cette scène, dit que la soirée était superbe et proposa une promenade. Rupert et Grace acceptèrent avec empressement, pendant que Lucie attendait un chapeau qu’on était allé lui chercher ; pour moi, je m’étais excusé sur quelques lettres que j’avais à écrire dans ma chambre.

— Miles ! dit Lucie au moment où j’allais rentrer dans la maison, en me présentant la petite boîte de papier dans lequel j’avais mis ses perles.

— Voulez-vous que je vous les garde, Lucie ?

— Non, Miles, pas pour moi, mais pour vous, pour Grace, pour mistress Miles Wallingford, si vous le préférez.

En disant ces mots, Lucie ne semblait céder à aucun mouvement