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ménage. Grace, qui n’avait que quatorze ans, était trop jeune pour le diriger, et je ne pouvais guère être utile pour donner des avis. M. Hardinge, se conformant aux prescriptions d’une lettre que notre ange de mère lui avait écrite en recommandant de ne la remettre que le lendemain de son enterrement, afin de donner plus de poids à sa prière, quitta le presbytère, et vint demeurer à Clawbonny avec ses enfants. Ma mère savait que sa présence serait de la plus grande utilité pour les orphelins qu’elle laissait après elle ; tandis que les petites économies qu’il ferait ainsi sur ses dépenses de ménage permettraient au bon ministre de mettre de côté de cent à deux cents livres sterling pour Lucie, qui autrement pouvait, à sa mort, se trouver sans aucune ressource.

Ces nouveaux arrangements firent grand plaisir à Grace ainsi qu’à moi ; car elle aimait Lucie autant que j’aimais Rupert, et pour dire la vérité, que je l’aimais elle-même. On n’eut pas trouvé dans tout l’état quatre êtres plus heureux. Auparavant, nous nous voyions tous les jours ; à présent nous nous voyions à toute heure. Le soir, nous nous séparions de bonne heure, il est vrai, chacun ayant sa petite chambre à part ; mais c’était pour nous réunir encore de meilleure heure le lendemain, et pour reprendre ensemble nos amusements. De travail, il n’en fut pas question pendant un mois ou deux ; nous courions à travers champs, nous abattions des noix, nous cueillions des fruits, nous voyions faire la récolte ; nous prenions le plus d’exercice possible, au grand avantage de notre santé.

Je puis dire sans vanité qu’il aurait été difficile de rencontrer quatre figures plus capables d’attirer l’attention que les nôtres à la fin de 1797. Rupert Hardinge ressemblait à sa mère, et ses traits étaient aussi remarquables que ses mouvements gracieux. Il avait naturellement un air de distinction, dont il savait tirer avantage, et une facilité d’élocution, un entrain qui rendaient sa société, sinon instructive, du moins agréable. Je n’étais pas mal de mon côté, quoique loin d’avoir l’extérieur séduisant de mon jeune ami. Sous le rapport de la force, de l’énergie, de l’activité, j’avais certainement l’avantage sur lui, comme sur presque tous les jeunes gens de mon âge. Mes cheveux étaient d’un brun foncé ; ils tombaient en boucles autour de mon cou, et les ciseaux eurent beaucoup de peine à réprimer leurs écarts. C’était la seule chose que j’eusse de vraiment bien. Ils ne perdirent jamais toute leur beauté, et même aujourd’hui, quoique blancs comme la neige, ils sont encore remarqués. Mais c’était Grace surtout qui commandait l’attention. Sa figure rayonnait de sensibilité : c’était une de ces physionomies où la nature se