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Le colonel Barclay — c’était son nom — avait pris les Mertons sous son patronage, et son exemple ayant été suivi par d’autres, ils étaient déjà reçus dans la meilleure société. Émilie me cita les noms de plusieurs des personnes avec lesquelles elle avait déjà échangé des visites, et je reconnus aussitôt, tant par la conversation de Lucie et de Grace que par ma connaissance générale des traditions de la colonie et de l’état, qu’au point de vue, sinon politique, du moins social, c’étaient les premières familles du pays ; classe évidemment au-dessus de celles avec lesquelles je m’étais trouvé en relations. En même temps je savais très-bien que le capitaine d’un bâtiment de commerce avait beau être au mieux avec ses armateurs ou avec ses camarades, il n’en avait pas moins très-peu de chances d’être admis dans cette société ; de sorte que j’avais devant moi la douce perspective de voir ma propre sœur et les deux jeunes personnes que j’aimais le plus au monde, — après elle, cela va sans dire, — fréquenter des maisons dont les portes m’étaient fermées. C’est désagréable dans toutes les positions ; dans la mienne ce le fut encore davantage, et voici comment :

Quand je dis à Émilie que Grace et Lucie étaient à New-York, et qu’elles se proposaient de venir la voir le matin même, il me parut qu’elle manifestait moins d’empressement qu’elle n’en aurait montré un mois auparavant.

— Miss Hardinge est-elle parente de M. Rupert Hardinge auprès de qui je me suis trouvée hier dans un dîner ? demanda-t-elle après avoir exprimé le plaisir qu’elle aurait à les recevoir.

Je savais que Rupert avait dîné en ville ce jour-là, et, ne connaissant aucune autre personne du même nom, je répondis affirmativement.

— Il est le fils d’un ministre respectable, et très-bien posé dans le monde, m’a-t-on dit ?

— Les Hardinges sont en grand renom parmi nous. Le père et le grand-père de Rupert ont été ministres, et son bisaïeul était marin : Ce ne sera pas, je l’espère, une défaveur à vos yeux.

— Marin ! mais il me semblait avoir entendu dire… — Pardon, je me trompe sans doute.

— Peut-être vous a-t-on dit que son bisaïeul était un officier anglais ?

Émilie rougit, puis elle sourit faiblement, et convint que j’avais deviné juste.

— Eh bien ! tout cela est vrai, ajoutai-je, quoiqu’il fût marin. Le vieux capitaine Hardinge, ou le commodore Hardinge, comme on