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mions sincèrement ce digne homme, et ses enfants ne nous étaient pas moins chers ; deux étaient d’un âge qui correspondait au nôtre, Rupert Hardinge ayant à peine un an de plus que moi, et Lucie, sa sœur, six mois de moins que Grace. Nous étions tous quatre fortement attachés l’un à l’autre, et il en avait été ainsi depuis l’enfance, M. Hardinge ayant dirigé mon éducation dès l’âge le plus tendre.

Je ne puis dire toutefois que Rupert Hardinge parût devoir jamais donner à son père la satisfaction qu’il est si facile à un enfant studieux, actif et bien dirigé, de procurer à ses parents. J’étais de beaucoup le plus avancé des deux, et M. Hardinge avait déclaré, un an avant la mort de ma mère, que j’étais en état d’entrer dans un collège ; mais ma mère avait voulu attendre pour m’envoyer à Yale, où était l’institution choisie par mon père, que mon petit camarade pût m’y accompagner ; car elle voulait lui faire donner aussi une éducation complète, pour seconder les vues de son père qui le destinait à l’église. Ce délai, accordé dans des intentions si bienveillantes, eut pour effet de changer par la suite toute mon existence.

Mon père, à ce qu’il paraît, me destinait à la profession d’avocat, dans le désir bien naturel de me voir un jour occuper quelque poste honorable dans l’état ; mais tout travail d’esprit me répugnait, et je fus ravi d’apprendre que mon entrée au collège était différée d’un an. Il est vrai que j’apprenais vite, mais c’était presque malgré moi ; j’étais passionné pour la lecture, mais pour les lectures frivoles plutôt d’instructives. Quant à Rupert, sans être absolument dépourvu de moyens, et quoiqu’il fût même très adroit en de certaines choses, il haïssait l’étude encore plus que moi, et toute espèce de contrainte bien plus encore. Son père, qui avait une piété sincère, avait trop de respect pour son ministère pour vouloir faire entrer son fils de force dans l’église ; mais tout son espoir était que les inclinations de son fils, guidées par la Providence, prendraient cette direction ; il s’expliquait rarement à ce sujet, mais j’eus occasion de découvrir le fond de sa pensée dans mes entretiens familiers avec ses enfants. Cette idée charmait Lucie, et elle pensait avec ivresse au moment où son frère officierait dans la même chaire où son père et son aïeul avaient dirigé le service divin pendant un demi-siècle ; espace de temps qui pour nous, enfants, était presque l’éternité. Et si la chère fille formait ce désir pour son frère, c’était dans son intérêt spirituel plutôt que temporel, car la cure ne valait que cent cinquante livres sterling, assez mal payées, avec un petit presbytère assez commode et une glèbe de vingt-cinq acres d’assez bonne terre, que, dans ce temps-là, ce n’était pas un péché pour un ministre de faire cultiver par deux