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étonné moi-même de mon stoïcisme. Je n’affirmerai pas que je fusse la seule cause de l’agitation d’Émilie ; mais j’avoue qu’il m’était impossible de l’expliquer d’une manière qui me fût plus agréable. L’arrivée du major Mcrton, à cet instant, empêcha une explosion qui semblait imminente, et nous rappela à nous-mêmes. Quant au major, il était loin de paraître dans son état ordinaire ; et j’en fus frappé à tel point que je commençai par lui demander s’il était malade.

— Pour toujours, je le crains, Miles, répondit-il. Mon médecin vient de m’avertir franchement que si je ne gagne pas un climat froid le plus tôt possible, il ne me donne pas six mois à vivre.

— Alors venez avec moi, Monsieur, m’écriai-je avec un empressement qui prouvait ma sincérité. Il est temps encore, puisque je ne pars que demain.

— On me défend d’aller à Bombay, ajouta le major en regardant sa fille avec anxiété ; et il faut que je renonce à ma place, du moins pour bien longtemps.

— Tant mieux, major. Dans quatre ou cinq mois, je vous débarque à New-York où vous trouverez le climat qu’il vous faut. C’est comme amis, et non comme passagers, que vous viendrez avec moi. Votre table deviendra la mienne ; car mes emplettes remplissent tellement ma chambre, que c’est à peine s’il me reste la place nécessaire pour y coucher.

— Votre délicatesse égale votre générosité, Miles ; mais vos armateurs, que diraient-ils ?

— Ils n’ont aucun droit de se plaindre. D’après nos conventions, si je prends des passagers, c’est mon affaire. Tout au plus pourrait-il leur être dû une indemnité pour l’eau et pour les rations que fournit le bâtiment ; si vous insistez pour la leur payer, c’est à peine d’une centaine de dollars qu’il s’agira.

— À ces conditions, je profiterai avec reconnaissance de votre offre. Permettez-moi seulement de vous faire une dernière question : pouvez-vous toucher à Sainte-Hélène ?

— Mais, oui, si vous le désirez. Je dirai même que cela peut être nécessaire pour la santé de l’équipage.

— Eh ! bien, là je vous quitterai s’il se présente une occasion pour l’Angleterre ; car je ne puis tarder à m’y rendre. Voilà qui est convenu, mon cher Miles ; demain matin je serai prêt.

Jamais Émilie ne m’avait paru plus belle que pendant qu’elle écoutait cet arrangement. Elle se trouvait soulagée de toute inquiétude immédiate pour son père, et je crus aussi qu’elle n’était pas fâchée de voir retarder l’instant de notre séparation. Des mois devaient s’é-