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mier lieutenant, et j’avais pris un des Philadelphiens pour second officier. C’était un jeune homme qui avait toutes les qualités requises pour l’emploi, et même une de plus qu’il n’était nécessaire : l’amour de la boisson ; mais les ivrognes ne vont pas trop mal sur un bord où une discipline convenable est maintenue. En vérité, Neptune doit être un profond moraliste ; car, à en juger par tous les jeunes gens qu’on envoie en mer, plus ou moins malades au moral, il a de terribles plaies de ce genre à cicatriser. Talcott eut ordre de démarrer ; quant à moi, je montai dans un canot et je me rendis à terre, dans l’intention de faire une dernière tentative auprès de Marbre.

La basse-cour était déjà en mouvement, et se rassemblait près de la porte de la cabane, où Marbre avait coutume de lui donner à manger le matin. J’ouvris la porte, j’entrai : il n’y avait personne dans l’intérieur ; Marbre était déjà sorti. Sans doute après avoir passé la nuit sans dormir, il était allé respirer l’air frais du matin. Je le cherchai dans le bois voisin, sur la plage, dans toutes ses promenades ordinaires, mes recherches furent inutiles. Malgré mon empressement de retourner à bord, j’allais me porter sur un point éloigné de l’île, où je savais que Marbre se rendait quelquefois quand il était enfoncé dans ses rêveries, quand, en jetant par hasard les yeux sur la baie, je ne vis plus la chaloupe française que j’avais fait équiper avec tant de soin pour lui. Elle était grande ; elle avait été construite pour porter une ancre de bossoir, et elle avait été mouillée sous son grappin et attachée en outre par une amarre à terre, assez solidement pour qu’il y eût aucun danger qu’elle eût pu être mise en mouvement, par un temps si tranquille, sans le secours des mains. Je rejoignis aussitôt mon canot, et quelques minutes après j’étais à bord.

Je procédai immédiatement à un appel général : il ne manquait personne. Il en résultait que Marbre avait fait sortir seul la chaloupe de ce bassin naturel. Les matelots qui avaient été de quart furent questionnés : aucun d’eux n’avait rien vu ni rien entendu. Pendant que M. Talcott continuait ses dispositions, je montai au haut du grand mât de hune, d’où la vue dominait sur toute l’île, à l’exception de quelques taillis, sur la baie et sur une grande partie de la pleine mer. Nulle part on ne voyait ni Marbre ni la chaloupe ; il était rigoureusement possible qu’il se fût caché derrière le bâtiment naufragé, encore eût-il fallu qu’il eût pris la précaution d’amener les mâts.

Notre dernière ancre venait d’être ramenée, les huniers avaient été hissés avant mon ascension, et tout était prêt pour recevoir le