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d’une affaire importante ; il était aisé de voir qu’il était fortement ému ; sa main tremblait, et j’avais quelque espoir qu’il allait m’annoncer quelque changement dans ses projets.

— Dieu vous bénisse, Miles ! Dieu vous bénisse, mon bon ami ! dit-il dès que personne ne put nous entendre ; si je pouvais regretter quelque chose au monde, ce serait un ami tel que vous. Oui, je pourrais vivre sans père ni mère, sans frère ni sœur, sans bâtiment, sans la confiance de mes armateurs, sans même une bonne réputation, si, sur mille personnes, j’étais sûr d’en rencontrer une qui vous ressemblât. Mais vous êtes jeune, vous ne connaissez pas les hommes ; ainsi n’en parlons plus. Tout ce que je demande à présent, c’est que vous en finissiez avec cette manie de me mâcher toute la besogne ; autrement, vous ne me laisserez rien à faire. Je suis en état d’équiper cette chaloupe tout aussi bien que qui que ce soit, sachez-le bien.

— Je le sais parfaitement, mon bon ami ; mais ce que je sais aussi, c’est que vous ne le feriez pas. J’espère que vous nous suivrez en mer dans cette chaloupe, et que vous viendrez reprendre votre ancienne place à notre tête à bord de la Crisis.

Marbre secoua la tête, et il vit sans doute à ma manière que je comptais peu sur un pareil résultat ; nous fîmes quelques pas en silence ; puis, tout à coup, il me dit d’un ton qui prouvait à quel point il était troublé :

— Miles, vous me donnerez de vos nouvelles, n’est-ce pas ?

— De mes nouvelles, et comment ? le service de la malle n’est pas encore établi entre cette île et New-York.

— Je radote, n’est-il pas vrai ? et je perds la mémoire. Que voulez-vous, je généralisais sur l’amitié et les sentiments semblables, et l’idée m’est échappée. Je sais que lorsque vous serez parti je serai retranché du reste du monde, et que je ne reverrai peut-être jamais une figure humaine ; mais qu’importe ? mon temps ne peut être long à présent, et j’aurai la basse-cour pour compagnie. Il faut vous dire, Miles, que miss Merton m’a donné sa bible hier, et, à ma demande, elle m’a montré le passage où il est question de Moïse exposé au milieu des joncs ; je l’ai parcouru, et il m’est facile à présent de voir pourquoi l’on m’a appelé Moïse.

— Mais Moïse, pour avoir été exposé, n’a pas cru nécessaire d’aller vivre dans un désert.

— Parce que ce Moïse-là n’avait pas à rougir de ses parents ; c’était la crainte et non la honte qui l’avait fait exposer. Et puis Moïse n’a jamais laissé une bande de vauriens français prendre un