pas de votre amitié, et me séparer de vous sera la chose la plus pénible de toutes ; mais je n’ai pas un parent, pas un coin de terre, personne pour désirer mon retour, pas même une masure pour reposer ma tête. Eh ! bien, cette île du moins est à moi, jusqu’à un certain point, puisque je l’ai découverte.
— Vous avez une patrie, Miles, et tout bon Américain doit l’aimer.
— Eh bien, ma patrie sera ici. Ce sera encore l’Amérique, puisque, par droit de découverte, elle est en la possession d’Américains. Je suis né Yankee du moins, et je mourrai Yankee. Depuis 77, j’ai toujours navigué sous ce pavillon, mon garçon, et vous pouvez compter que je ne naviguerai sous aucun autre.
— Et que dirai-je à tous les marins qui me demanderont de vos nouvelles, et qui ont si souvent parcouru les mers avec vous ?
— Dites-leur que l’homme qui avait été trouvé est à présent perdu, répondit Marbre avec amertume. Mais je ne suis pas assez fou pour me croire un être aussi important que voulez bien le supposer. Si on s’occupe de moi, ce sera tout au plus dans quelque gazette, pour remplir quelques lignes, à défaut de meurtre, de vol, ou d’empoisonnement d’une mère avec six petits enfants.
— Et puis après tout, quand j’y réfléchis bien, c’est tout au plus s’il y a de quoi subsister ici, repris-je en affectant un air de doute. Je ne sais si le fruit du cocotier est sain toute l’année, et il doit y avoir des saisons où les arbres ne portent pas de fruits.
— Ne craignez rien. J’ai mon fusil de chasse, et vous me laisserez bien un ou deux mousquets avec quelques munitions. Maintenant que l’île est connue, les bâtiments qui passeront renouvelleront mes provisions. Pour le moment je ne manquerai de rien. Il y a des poules, des porcs en quantité suffisante, et tout cela croît et multiplie. J’ai compté quinze barils de sucre sur le rivage, et il en reste une trentaine à bord du bâtiment naufragé, et tous au-dessus de l’eau. J’ai pour ressources la chasse et la pêche. Je puis planter des légumes, je puis semer du grain ; le terrain paraît excellent, et tout y viendra comme une bénédiction. J’ai une caisse d’outils qui sont à moi ; je suis assez bon charpentier, pas mauvais serrurier. Comment donc ! mais il y a des milliers de malheureux dans les grandes villes qui troqueraient de grand cœur leurs rues boueuses et leur pauvreté contre ma solitude et mon abondance.
Je commençai à penser que Marbre n’était pas dans un état d’esprit normal, et je changeai de sujet. La journée se passa à ne rien faire, comme je l’avais décidé. Le lendemain on se mit activement à l’ouvrage. Le cuivre, les marchandises anglaises, les parties de la