Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/261

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soit le quatrième de son nom, pour être le roi ou le prince de Galles de cette île, en pareille société.

Ce n’était pas moi, c’était Marbre qui parlait ; et pourtant j’aurais voulu de grand cœur qu’il n’eût rien dit. Je ne savais quelle contenance faire, et je plaignais Émilie, qui devait être encore plus embarrassée que moi. Le major et Marbre n’en continuèrent pas moins leur conversation, comme si de rien n’était.

— Sans doute, sans doute, reprit le premier, le romanesque plaît toujours aux jeunes gens, et il paraît même qu’ici les têtes grisonnantes n’en sont pas à l’abri. Savez-vous, Messieurs, que, du premier moment où j’ai mis le pied dans cette île, j’ai désiré vivement d’y finir mes jours ? Ce n’est pas une idée en l’air que j’exprimais tout à l’heure.

— Je suis heureuse néanmoins, cher père, dit Émilie en riant, que le désir n’ait pas été assez vif pour amener une proposition formelle.

— C’est vous qui êtes le grand obstacle ; car que faire ici d’une fille maussade, dont l’imagination serait toujours à courir les bals et les théâtres ?

— Et qu’y feriez-vous vous-même, major, sans compagnons, sans livres, sans occupations ?

— Ce qu’un homme sage doit faire, Miles ; réfléchir sur le passé. Et puis Émilie n’a-t-elle pas sa bibliothèque, et avec des livres j’aurais des compagnons. Pour de l’occupation, je n’en manquerais pas. Songez donc que j’aurais tout à créer ici, et quel plaisir de jouir du fruit de ses travaux ! Oh ! je serais ici comme un prince, et comme un prince régnant par-dessus le marché.

— Oui, major, vous seriez à vous seul le capitaine et tout l’équipage ; mais je crois que vous seriez bientôt las du gouvernement, et que vous ne tarderiez pas à abdiquer

— Peut-être, Miles ; et pourtant c’est une idée qui me sourit, — qui me sourirait encore plus sans ma fille. J’ai très-peu de parents, et ce qui est assez bizarre, c’est que les plus proches que j’aie sont de votre pays, Messieurs. Ma mère était de Boston, où mon père, qui était négociant, l’épousa ; et il s’en est fallu de très-peu que moi-même je ne fusse Yankee, car je ne suis né que huit jours après l’arrivée de mes parents en Angleterre. Du côté de mon père, je me connais à peine cinq parents, et encore assez éloignés ; du côté de ma mère, tous sont des étrangers pour moi. Jamais non plus je n’ai possédé un seul pied de cette terre où nous vivons.

— Ni moi, interrompit Marbre avec chaleur.